Publié le 20/07/2022 Par Salma El Malaki

L’une des distinctions premières grâce à laquelle il est possible de définir l’humain est sa capacité à apprendre. Non pas un apprentissage stationnaire qui puisse uniquement servir à survivre à son environnement, mais ce type d’apprentissage qui permet « d’agir » sur son environnement. Une capacité évolutive qui permet de distinguer notre espèce des embranchements de l’arbre de la vie. Néanmoins, avec l’avènement d’un « apprentissage artificiel », cette vision anthropocentrée semble de plus en plus biaisée.

C’est là où il devient nécessaire de faire la part des choses :
🔹 Quelles sont les différentes méthodes d’apprentissage humain ? Quid des machines ?
🔹 Comment la biologie inspire-t-elle l’intelligence artificielle ?
🔹 Mimer, est-ce savoir ? Et enfin, quel rôle joue la mémoire dans ce processus ?
🔹 Autant de questions auxquelles nous allons tenter d’apporter un élément de réponses dans cet article.

Pour autant, il n’est pas aisé de réponses à ces questions quand bien même nous nous les sommes tous posées à un moment ou à un autre de notre parcours, que ce soit face à cet exercice de maths insoluble, face à cette dissertation de philo incompréhensible ou tout simplement quand, frustré, on a jeté son livre d’allemand de l’autre côté de la pièce (parce que Goethe ne vaut pas mes… enfin, nos larmes).

Le fait est que derrière ce mot simple réside un concept complexe. Selon le Larousse, la définition d’apprentissage se décline comme suit : “Ensemble des processus de mémorisation mis en œuvre par l’animal ou par l’homme pour élaborer ou modifier les schèmes comportementaux spécifiques sous l’influence de son environnement et de son expérience.”

Trois points sont à retenir :

  • Modification des schèmes comportementaux
  • Influence de l’environnement
  • Influence de l’expérience

La définition s’en tient à une approche globale allant de l’existant à l’adaptation de cet existant selon les exigences de l’interaction avec l’élément exogène. Bien que l’on reprenne l’essentiel (le diable est dans le détail et dieu seulement dans les grandes lignes), le rôle et la propension des structures endogènes sont laissés de côté. Pourtant, comme nous allons le voir un peu plus loin, cet élément est au cœur du débat du siècle sur l’apprentissage.

Quelles sont les différentes méthodes d’apprentissage ?

Ce qui nous amène donc à retracer une chronologie des méthodes d’apprentissage, humain dans un premier temps, afin d’apporter des éléments de réponses à notre premier questionnement. Avec l’avènement de l’école et certainement bien avant, on a privilégié la pédagogie par transmission, avec un émetteur de l’information et un étudiant passif qui est à l’autre bout du canal de communication et la reçoit telle quelle. Il n’y a aucune adaptation, aucune explication (dans le sens réadaptation et séquençage de la matière) et l’élève est sensé se complaire à la vision de celui qui transmet.

Le béhaviorisme

Entre cette méthode approximative et l’avènement du béhaviorisme, il n’y a pas eu de grands apports quant à la théorisation de l’apprentissage. Le béhaviorisme ne voit le jour qu’en 1913 et c’est le premier mouvement ayant pour ambition de traiter scientifiquement le sujet. Pour résumer, Watson, fondateur du mouvement, interprète Pavlov à sa manière : tout enseignement est un conditionnement. Tout comme on peut apprendre à un chien de saliver au son d’une cloche, on peut apprendre à un enfant à s’asseoir, parler ou courir. Il suffit de découper le message en parties facilement assimilables et de trouver ensuite la bonne formule punition / rétribution pour renforcer l’apprentissage : réaction pavlovienne ou pas, mais aux cerveaux « entraînés », l’apprentissage par renforcement est le premier chapitre de la genèse selon Yann Lecun de l’intelligence artificielle. On y reviendra à l’occasion un peu plus loin.
Le tandem stimuli –> réaction est mis en exergue. Efforts louables, mais extrêmement réductionnistes et phénoménologiques (donnant beaucoup plus d’importance à l’environnement).

Le cognitivisme

Résultat, la méthode ne tarde pas à être critiquée. Concrètement dès 1937, théoriquement depuis Leibniz et Boole. Durant les années 30, c’est l’avènement du cognitivisme : approche « computationnelle » basée sur l’interprétation syntaxique de codes et de symboles quasi-linguistiques. Une méthode rationaliste de l’apprentissage qui étudie le traitement et l’encodage de l’information dans une mémoire de chaire… ou de processeurs. Selon cette école, ce que le cerveau peut faire une machine peut reproduire : Shannon théorise la communication et Turing, lui, approfondit le concept de computationnalisme. Ses travaux s’inspirent de Gödel notamment et de son théorème d’incomplétude.

C’est la concrétisation d’un rêve datant de plus de 3 siècles, depuis Descartes et son dualisme : « Le corps est une machine qui se remue de soi-même ». Turing emploie une terminologie analogue en imaginant un « être calculant » pouvant être à la fois machine ou humain « dressé » aux méthodes de calculs nécessaires pour décider si une méthode basée sur des théories axiomatiques est forcément démontrable (voir le problème de la décision de Hilbert pour les plus courageux.). On passe alors d’une perception empiriste de l’apprentissage à une vision matérialiste où l’homme lui-même est une machine idéalisée de Turing. Les cognitivistes, encouragés par cette voie avec la prolifération d’ordinateurs de plus en plus rapide et performants, structurent un peu plus la discipline : bientôt, on parle de cognitivisme stratégique. On reconnaît à l’enfant un état de « connaissances » initiales. L’observateur n’est pas innocent comme dirait Chomsky. L’addition de nouvelles informations glanées sur le terrain permettent à l’enfant de structurer ses schèmes innés. Le cognitivisme stratégique se pose la question fondamentale de savoir comment est-ce qu’on organise nos acquis et ouvre alors la voie à l’étude de la métacognition en distinguant la mémoire épisodique, recelant principalement notre savoir autobiographique et nos souvenirs en général, et la mémoire sémantique qui confine notre savoir académique.

Grammaire générative et épistémologie génétique

Et puis, il y eut le fameux débat. Du 10 au 13 octobre 1975, on eut la bonne (la merveilleuse) idée de confronter le père fondateur de l’épistémologie génétique, j’ai nommé Jean Piaget, et celui de la grammaire générative, Noam Chomsky. Entre les murs de l’Abbaye de Royaumont, accompagnés entre autres de Jacques Monod (biologiste à qui l’on doit le concept de téléonomie) et de Jean-Pierre Changeux, ils discutèrent longuement d’apprentissage humain et machine (Papert s’occupera de la seconde partie). Les deux théories inspirent encore bon nombre de scientifiques et d’études, je vous conseille de vous référer à l’excellent « théorie du langage, théories de l’apprentissage » qui retranscrit presque fidèlement l’échange.

En attendant, voici un résumé (décent je l’espère) des deux courants :

Grammaire générative :

Avec la grammaire universelle, Chomsky stipule que tout ce que nous avons besoin de savoir, de connaître, est confiné dans notre enveloppe génétique. Le sujet idéal dans ce contexte avance par instinct. En reprenant l’analogie utilisée, on compare l’enfant à un escaladeur qui saurait par avance où mettre les pieds pour avoir un appui solide. L’environnement pour Noam ne joue dès lors que le rôle d’un catalyseur : il révèle notre savoir inné.

Constructivisme Piagétien :

Que ce soit en didactique ou en intelligence artificielle plus récemment, on abonde dans le sens de Jean. Ce qu’il dit ? Il est nécessaire de contextualiser l’apprentissage, c’est ainsi que l’enfant pourra construire des stratégies d’internalisation de l’information. Plus il expérimente avec son environnement, plus il évolue en s’adaptant à la situation qui se présente. À l’opposé des behavioristes, on ne cherche pas à éviter l’erreur, mais à la comprendre. Le développement cognitif de l’enfant se fait suivant des paliers : à chaque tranche d’âge, son lot de connaissances (voir en détail cet article par exemple). Enfin, l’un des postulats les plus intéressants est le concept « d’équilibration » : dès que le but à atteindre pour l’enfant est perturbé, l’enfant est obligé de réadapter ses schèmes innés d’intégration. Revenons-en à notre exemple de l’escaladeur. Ce dernier avance à tâtons selon le modèle piagétien où il est « supervisé » par un éducateur. Quand il cherche à prendre appui, il peut rater le coche parce qu’il n’a pas lancé son bras assez loin pour prendre appui. Il va donc réévaluer son geste et tenter une seconde fois.

Ce qui est commun aux deux théories néanmoins, c’est l’existence d’un support, d’une structure initiale. Ce qui rend pour Piaget la « construction de schèmes cognitifs » par interaction avec l’environnement possible et pour Chomsky une « interaction révélatrice » des structures innées plausible. Enfin, l’avantage de la théorie Piagétienne est que cette dernière peut être testée et réadaptée à une intelligence artificielle d’où l’engouement qui s’ensuivit.

Le socioconstructivisme

Une étape plus loin, on trouve le socioconstructivisme. Postulat selon lequel l’enfant apprend toujours au travers des différentes inférences et interactions avec l’environnement, mais en mettant l’accent sur l’aspect culturel et social. Lev Vygotski insiste sur l’importance de l’échange avec un tiers, ce qu’il désigne sous l’appellation zone proximale de développement délimitant ce que l’on peut apprendre de l’autre dans un cadre social. On met aussi l’accent un peu plus tard sur le « conflit socio-cognitif » : tout comme le concept d’équilibration piagétien, l’apprenant est confronté à des points de vue différents de ses acquis. Il essaye donc de remettre de « l’ordre » dans ses pensées en cherchant soit à affirmer ou à infirmer son savoir auprès de l’interlocuteur à l’origine du message contredisant ses acquis. En fonction de cette interaction, il pourra faire évoluer ses schèmes et les réadapter.

Et aujourd’hui ? Avec une importante avancée technologique, on s’est tourné encore une fois vers l’aspect expérimental du cognitivisme. Dans son récent ouvrage « Apprendre », Stanislas Dehaene (détenteur d’une chaire au collège de France et cognitiviste reconnu) explore la voie du développement neuronal chez le nouveau-né. Ses découvertes réconcilient à la fois les théories innéistes en démontrant en effet que l’enfant possède déjà à la naissance ce que Chomsky appelle un « language acquisition device », mais que c’est l’interaction de l’enfant avec son environnement et avec ses proches qui lui permet de « construire » un modèle concret du monde qui l’entoure et des règles physiques qui le régulent. Son postulat le plus intéressant étant que notre cerveau est un cerveau « statisticien » : il stipule des théories et les élimine ou les confirme avec un jeu probabiliste qui n’est pas sans rappeler la théorie Bayésienne.

Dans cette première partie, on a fait le tour (exhaustif quoique non approfondi) des différentes méthodes d’apprentissage humain. Sur certaines d’entre elles, j’ai anticipé en faisant un rapprochement explicite avec les méthodes d’apprentissage appliquées en intelligence artificielle. Néanmoins, je tenterai d’en reprendre l’essentiel dans un autre article !

Pour les plus curieux, je vous conseille :

Pour en savoir un peu plus sur le théorème d’incomplétude de Gödel

En mathématiques, il existera toujours des choses vraies, mais indémontrables. Merci Kurt Gödel…

Une vidéo de David Louapre, docteur en physique connu pour son travail de vulgarisation scientifique.


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Vos commentaires

  1. Par Gaël Dupire, le 06 Oct 2019

    Merci pour cette remarque, le lien a été mis en place. Désolé pour cet oubli.

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Auteur

Salma El Malaki

Diplômée en banque finance, je me spécialise en finance de marché et risques. Passionnée d'écriture, je suis également lauréate du prix littérature 2M (Maroc) ce qui me permet de publier mon premier roman de science fiction. N'hésitez pas à y jeter un coup d'oeil: Insight Ou l Homme Denature https://www.amazon.fr/dp/9954744096/ref=cm_sw_r_cp_apa_i_wuyBDbFSM0DBY

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