Publié le 15/10/2019 Par Reda Chiali

La numérisation de l’économie a rendu nécessaire l’industrialisation de la production des applications informatiques. Les méthodes de gestion de projet ont alors évolué tout d’abord en empruntant des outils généralistes, puis en créant des méthodologies dédiées à la numérisation.

Par capillarité, ces nouveaux procédés efficaces se diffusent dans les organisations. La méthode alors la plus en vogue, dite « agile », s’impose (à travers SCRUM) en diffusant l’efficacité du travail itératif pour conserver la maîtrise des coûts et des délais.

Certains observateurs notent toutefois la limite de cette boucle d’amélioration continue : conserver la cohérence et la vision long terme nécessaire à l’émulation de tout travail collectif.

1. Les méthodes de gestion de projet

a. L’industrialisation exige des méthodes projet : la méthode Waterfall.

La première méthode de gestion de projet est issue du secteur industriel et du BTP.
Cette méthode dite en cascade part de la définition du besoin jusqu’au déploiement mais sans intégrer de phase intermédiaire de validation. Cette solution, adaptée au monde de l’automobile et du bâtiment, est alors appliquée à l’informatique.
Les militaires américains ont ainsi été les premiers à l’utiliser (source Wikipedia : en 1956 pour la réalisation d’un prototype et en 1985 dans un appel d’offre pour la réorganisation du système d’information du département de la Défense américain).

Les premières applications civiles ont ensuite été réalisées pour les chercheurs puis par les professions manipulant un grand nombre de données et de documents tels que les comptables, les financiers, les scientifiques…

Néanmoins, les responsables de projets ont été limités par le manque de visibilité et de souplesse lié au manque de validation intermédiaire : en effet, ce n’est qu’à la fin du projet que l’on constate des écarts fonctionnels, de dérives budgétaires et un dépassement des délais. Ces inconvénients majeurs ont favorisé l’émergence d’autres méthodes.

 

b. L’informatique exige une gestion par étape : c’est le début du cycle en V

Devant ce manque de réactivité, le cycle en V s’est naturellement imposé avec l’idée de pouvoir valider les spécifications par les tests correspondants (les spécifications représentent le contrat sur lequel reposent les développements et la stratégie de tests adaptée).

Sur quels principes repose le cycle en V ? Il repose sur la relation, et sur les rôles précis de la maîtrise d’ouvrage (MOA) et de la maîtrise d’œuvre (MOE). Ici, l’Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage (AMOA) aide alors la MOA à spécifier le besoin exprimé par le métier tandis que la MOE réalise le développement conforme aux spécifications.

Ce modèle d’organisation issu du BTP définit des rôles précis et des règles de validation jusqu’à l’obtention du produit final. Pourtant, trop souvent, le produit final reste trop éloigné des souhaits du métier.
Or, à l’heure où le rythme de développement des outils s’accélère, où les besoins évoluent toujours plus vite, la structure cycle en V n’est pas assez souple et apparaît trop risquée quant à la maîtrise des coûts et aux délais de réalisation.
De nouveaux besoins naissent en cours de réalisation selon le résultat livré. Ainsi, le périmètre convenu ne fait qu’augmenter entrainant une incertitude sur les délais et aussi sur les ressources nécessaires.

 

c. La transformation digitale demande plus de souplesse : cap sur les méthodes « agiles »

En réaction aux méthodes existantes, les méthodes dites « agiles » assouplissent la mise en œuvre des projets. L’application de la méthodologie SCRUM, elle-même issue de cette notion « agile », fournit un cadre de travail plus précis en fournissant plusieurs outils. Son principe fondateur est le suivant : répondre aux évolutions constantes des outils informatiques en découpant le besoin en une succession d’évolutions. Les parties prenantes valident les transformations les unes à la suite des autres après plusieurs itérations successives vers des objectifs précis.

Ce processus continu répond au besoin d’amélioration permanente des projets en dotant les outils numériques de fonctionnalités de plus en plus performantes.

De plus, les évolutions technologiques (capacité des machines, miniaturisation et mobilité) créent de nouvelles attentes en termes de gains de productivité.

 

2. Quels impacts sur l’organisation et sur la dimension humaine ?

 

a. La prédominance des usages.
Aujourd’hui, les nouveaux usages imposent de s’adapter aux besoins des opérationnels et d’apprendre à faire évoluer l’outil de travail. En effet, l’utilisation des outils numériques fait désormais partie intégrante du quotidien : les opérationnels n’attendent plus la livraison de la fonctionnalité incluse dans les versions suivantes qui dépendent de l’accord de la DSI. Ils préfèrent passer par la création de fichiers Excel ou autres outils de productivité « cloud ».

Face à ce parti pris des métiers, la direction informatique (direction interne ou Entreprise de Service Numérique) doit se montrer plus efficace : d’une part, en maîtrisant voire en anticipant davantage l’évolution des outils, et d’autre part, en optimisant les coûts et les délais. À la clé : une plus grande satisfaction des métiers et des utilisateurs finaux sans cesse en demande d’optimisation de leur outil de travail.

 

b. L’amélioration continue et la méthode « agile » exigent des modèles d’organisation dédiés.
La méthode de gestion de projet préempte l’organisation de l’activité.

• Les référentiels d’organisation, type ITIL ou CoBit, établis par les professionnels du secteur répondent à ce besoin de hauteur de vue (la nouvelle version ITIL v.4 en cours de réalisation va d’ailleurs préciser les interactions avec Agile).
• L’agilité est appliquée dans les processus impliqués dans l’optimisation des outils numériques.

L’évolution des outils numériques est appliquée à l’activité des métiers. Cette « agilité » est naturellement sponsorisée par les managers opérationnels qui pilotent l’activité grâce à une méthode qui fait ses preuves.

Mais cette souplesse a pourtant aussi des limites : succession d’itérations, besoins contradictoires sur le long terme, évolution des rôles… Autant d’inconvénients qui risquent de “perdre” les intervenants.

 

c. Premiers retours sur ces modèles : l’adhésion est-elle au rendez-vous ?

Des sprints réitérés livrent aux métiers les évolutions demandées (dans la plupart des cas). On constate alors une hyperspécialisation croissante. Certains sont proches des métiers – consultants fonctionnels, métiers tournés vers l’optimisation des processus – alors que d’autres sont plus liés à la technique – développeurs qui adaptent le code tant bien que mal au gré des besoins. La maîtrise des impacts, dans ce domaine, devient d’ailleurs plus complexe (cf. Article portant sur la dette obscure).

Cette méthode a donc un impact sur la composition des équipes et sur sa gestion. En conséquence, les managers emportés dans la dimension opérationnelle perdent la vision stratégique et donc parfois l’adhésion des collaborateurs. Les sprints peuvent donner une impression de « vertige » à force de réitérer et de boucler en continue.

Lors de mes différents ateliers, j’ai pu constater l’importance du partage d’une vision claire des objectifs. En s’assurant de la recherche du meilleur compromis d’une stratégie et d’une vision long terme, on emprunte le chemin exclusif vers la volonté et la motivation des équipes, ce qui a pour effet de booster leur performance.

Les exigences d’amélioration continue portées, entre autres, par « Agile » peuvent être perçues comme déstabilisantes pour les salariés. Pour s’assurer de leur adhésion, ils doivent être informés de la stratégie. De nombreuses entreprises ont ainsi compris les revers de cette efficacité itérative en améliorant le partage de la vision stratégique pour compenser ce ressenti de vide. Certains vont même au-delà en s’assurant de minimiser l’impact itératif sur le bien-être des collaborateurs (à l’image de la création de la fonction de Chief Happiness Officer) pour redonner une dimension humaine au travail collectif.

 

CONCLUSION

 

Dans un contexte concurrentiel mondialisé, « l’agilité » est un outil qui répond à des besoins opérationnels en donnant un canevas et des méthodes éprouvées et qualitatives. Cette routine bien entretenue assure des résultats indéniables. Toutefois, attention de ne pas oublier la dimension humaine, véritable facteur d’adhésion et de réussite du projet.

Sources :

Le SCRUM guide édicte des valeurs d’efficacité et SAFe, issue de l’agilité, dessine des solutions de généralisation de “Agile” (https://www.journaldunet.com/solutions/expert/64252/safe–le-merise-des-temps-modernes.shtml) mais le pendant humain de la mise en œuvre nécessite une fonction plus large d’accompagnement au changement (https://www.forbes.fr/management/comment-gagner-en-agilite-avec-le-change-management/?cn-reloaded=1).

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Auteur

Reda Chiali

Après 8 ans en finance d'entreprise, Reda s'est orienté vers l'AMOA bancaire et depuis près de 10 ans, il est chef de projet. Intéressé par la gestion d'équipe et la place de l'humain dans les organisations, il regarde de près les sujets de management.

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