Publié le 03/08/2022 Par Paul-Antoine Champy

3e article de notre série consacrée à l’histoire des banques et de la monnaie.
Aujourd’hui, direction Florence pour voir les causes et l’impact de la première banqueroute au monde .

Après avoir vu dans l’article L’histoire de la monnaie : les origines, l’apparition de la monnaie et appréhendé la naissance des premières banques commerciales jusqu’au XIIIe, nous allons maintenant aborder la première banqueroute qui eut lieu à Florence et qui entraîna la chute des banques privées de cette ville.

Les banques telles que nous les connaissons aujourd’hui commencent à voir le jour en Italie. Le mot « banque » vient en effet de l’Italien “banca” qui désigne un banc en bois sur lequel les changeurs exercent leurs activités durant le Moyen Âge.

Les premières banques lombardes

C’est au XIe siècle que les Lombards introduisent de nouvelles techniques financières et marquent l’histoire de la banque en créant par exemple les premiers comptes courants. Grâce à leurs implications dans le commerce du textile, ils voient alors affluer suffisamment de capitaux pour leur permettre de développer leurs économies.

Voilà comment a été créée l’une des premières banques à Venise, puis à Florence, à Pise et à Gênes. Pour aider les commerçants et contourner la règle de l’interdiction des prêts, les Lombards mettent alors en place les premières lettres de change permettant de circuler plus sereinement. La naissance de ces lettres de change va ainsi permettre aux marchands de ne plus se déplacer avec leurs argents.

Les marchands n’ont ainsi plus qu’à se présenter à une banque avec une lettre, comme celle présentée ci-dessous, pour pouvoir retirer leurs dus directement dans la bonne monnaie. En ce sens, ces lettres agissent donc comme des reconnaissances de dettes et permettent de voyager l’esprit plus léger, surtout à cette époque où les routes ne sont pas sûres.

L’avènement de Florence dans l’histoire bancaire

L’industrie du textile est alors en plein essor et les Lombards y jouent un rôle fondamental en étant au centre de ce commerce. À cette époque, l’Angleterre produit de la laine en grande quantité avant de la vendre ensuite aux Flamands. Laine qui, après avoir été transformée en draps, est ensuite revendue par ces mêmes Flamands aux Italiens qui les teignent alors pour les vendre à leur tour aux pays d’Orient. Un commerce fructueux pour les Lombards qui, en contrepartie, reçoivent des produits des pays Arabes.

C’est de cette manière qu’en 1300, Florence devient l’une des places financières majeures d’Europe. Le Florin est la monnaie la plus utilisée lors des échanges commerciaux, que ce soit en Europe ou dans certains pays d’Orient. Le Florin pourrait équivaloir aujourd’hui au dollar du XXe siècle. En effet, le rayonnement de Florence n’a rien à envier à la capitale londonienne du XIXe siècle ou à la ville de New York au XXe siècle. Sa puissance n’a toutefois pas duré longtemps. À la suite de sa banqueroute, Florence n’a pas su retrouver sa grandeur financière, même sous les Médicis, laissant ainsi la ville pantelante.

Le Krach de Florence

La première banqueroute connue se produit au milieu du XIVe siècle alors que l’économie et le commerce à Florence sont à leur apogée.

Florence avec, en arrière-plan, la Cathédrale Santa Maria del Fiore construite pendant l’âge d’or florentin
Florence avec, en arrière-plan, la Cathédrale Santa Maria del Fiore construite pendant l’âge d’or florentin

Les commerçants, qui se sont enrichis grâce au commerce de la laine, déposent leurs argents dans des banques privées comme celle des Peruzzi ou des Bardi, les plus importantes de l’époque. En parallèle, de nombreuses autres banques de moindre poids existent aussi.

La guerre de Cent Ans

Au XIVe siècle, la banque Bardi est la plus éminente de Florence, voire du monde connu. Elle appartient en majorité à la famille. Les Bardi possèdent environ une centaine d’employés ou représentants dans plus de 25 succursales, situées en Europe ou au Moyen Orient. Succursales qui leur permettent ainsi de réaliser des échanges de tous types.

Les banques florentines se mettent alors à prêter aux puissants pour s’octroyer en contrepartie des monopoles sur le trafic à l’exportation. À titre d’exemple, ils prêtèrent ainsi au roi d’Angleterre 1 700 million de Florins au total. Une somme conséquente, surtout à cette époque, qui servit aux Anglais lors la guerre de Cent Ans. Le butin ramené fut somme toute modeste malgré les destructions et les pillages orchestrés.

Pour mettre en exergue et comprendre l’importance de l’emprunt concédé, il faut savoir que la ville d’Avignon fut achetée pour moins de 100 000 Florins et celle de Montpellier pour moins de 150 000 Florins par le roi de France. En comparaison, la France, pourtant considérée comme le pays le plus riche de ce siècle, ne fut même pas capable de payer la rançon de son roi, inférieure à 500 000 Florins.

Trois ans après le début de la guerre, le roi d’Angleterre décrète qu’il ne rembourserait pas l’emprunt contracté (chose somme toute assez normale à cette époque). Et ce malgré sa victoire quelques années plus tard, en 1346, lors de la bataille de Crécy, et les rançons qui vont de pair.

La décision contribue fortement à fragiliser les différentes banques florentines qui avaient prêté ces montants. Les sommes engagées pour aider le roi Anglais ne seront jamais retrouvées.

Deux autres hypothèses de la chute des banques

Récemment, deux autres hypothèses virent le jour pour expliquer comment les banques florentines ont fini à genoux. La première est politique. En effet, Florence décide de changer sa politique en modifiant le jeu des alliances alors en place à cette époque. Malheureusement, cela ne fait pas les affaires des banquiers qui voient leurs clients en provenance des provinces affectées venir retirer en masse leurs dépôts. Ceci entraîne alors une première salve de banqueroutes bientôt suivie d’une deuxième avec le jeu des dépôts et/ou des participations interbancaires.

La deuxième est que Florence est économiquement à cette époque dans une situation difficile. En effet, le commerce de la laine ne rapporte plus autant de bénéfices qu’auparavant. Une situation qui contribue à la première banqueroute affectant la situation de Florence. Mais la crise n’a pas de répercussions dans le reste de l’Europe outre mesure.

Cette banqueroute n’est pas la seule à avoir un impact sur Florence ou sur le reste de l’Europe en ce XIVe siècle. En effet, après l’essor de la révolution économique des siècles précédents, les Européens connaissent de multiples crises comme :

  • L’épidémie de peste noire (à titre d’exemple, la France ne retrouvera sa population d’avant la peste que trois siècles plus tard) ;
  • Les destructions causées par la guerre de Cent Ans ;
  • La grande famine ;
  • La baisse du cours de l’or.

L’âge d’or des Médicis

À la Renaissance, des banques privées apparaissent et se développent, mais celles-ci servent uniquement pour les marchands et les personnes fortunées. Les plus grosses banques privées sont de véritables réseaux, avec des succursales réparties dans toutes les plus grandes villes européennes comme Paris, Londres, Genève ou encore Avignon, qui est alors la ville des Papes.

Ce sont les Médicis qui développent cette activité et c’est même à eux que l’on doit a priori l’apparition du mot de banquier. La clef de leur succès ?  Diversifier leurs clientèles pour éviter les risques de banqueroutes. Pari gagnant puisqu’ils réussissent à redonner un certain prestige à Florence. Néanmoins, la ville n’occupera plus jamais la même place qu’avant la banqueroute survenue des années plus tôt.

Florence renaît malgré tout de ces cendres, dirigée implicitement par Laurent de Médicis, dit le Magnifique. En véritable mécène, il n’hésite pas à puiser dans la fortune familiale pour soutenir des artistes de futur renom comme Botticelli, Léonard de Vinci ou un certain Michel-Ange.

D’autres banques « modernes » essaiment aussi en Europe à l’image de celle de Jacques Cœur en France ou de la famille Fugger à Augsbourg. Les annexes sont alors gérées par d’autres membres de la famille.

Conclusion

Malgré l’impact important de cette banqueroute sur Florence, la crise reste cantonnée au Nord de l’Italie. Ce qui n’est plus le cas des crises actuelles dans lesquelles tout est imbriqué : quand un pilier tombe, il entraîne les autres jusqu’à ce qu’il y en ait un plus solide qui puisse contenir la chute.

Les banques, au sens moderne du terme, ont donc vu le jour en Italie. Puis, les pratiques bancaires se répandent ensuite en Europe entre le XIVe siècle et XXIe siècle, avec le développement du commerce et des besoins financiers des royautés. En France, la banque s’est réellement développée au début du XVIIIe siècle avec la banque de l’économiste écossais John Law.

Dans le prochain article de cette série, nous découvrirons comment les banques modernes et les premières banques centrales se sont développées, principalement en Europe.

Sources

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Auteur

Paul-Antoine Champy

Diplomé d'une école d'ingénieur ICAM et d'un Master d'Audencia, Paul Antoine intervient en finance de marché en tant que Business Analyst/Chef de Projet pour concevoir des outils servant aussi bien pour les Traders que pour les Analystes/Gérants.