Pour qu’il y ait création, il faut d’abord qu’il y ait intention. On ne crée ni dans le néant, ni dans l’absolu. La création répond à une volonté « d’aller vers ». Toujours en phase avec cette quête de « sens ». Créer, c’est aller dans une direction sans savoir encore quelle direction, ni quel angle. Mais à la racine de cette direction de création, il y a toujours une problématique, c’est-à-dire plus simplement, une question.
C’est parce que l’on se trouve confronté à un problème, à un carrefour offrant de multiples routes possibles, que la pause s’impose à nous. Et là, la question naît. Le point de départ du processus créatif repose donc sur la confrontation à une problématique concrète ou abstraite qui nécessite comme moyen le fait de se poser, de marquer un temps de réflexion dans la course à l’action.
De l’origine du processus créatif
Ce temps, ou cette pause, permet de scanner le problème. C’est un temps où l’on met ses sens en éveil, où l’on perçoit son environnement. Car on sent le problème dans sa globalité avant de l’analyser. On perçoit les émotions qui alertent le cerveau et lui disent : « Ici, il faut que tu fasses attention à la décision que tu vas prendre. Tu es à un carrefour. » Cela implique un minimum d’intuition bien-sûr, mais toute décision de création est empreinte de cette intuition première que l’on va par la suite rationaliser, analyser, décrypter… pour que notre raison soit tout aussi convaincue que notre intuition.
Alors on s’empare méthodiquement de l’environnement, de l’écosystème qui englobe notre problématique. Cela peut être une analyse de marché, une analyse de notre entreprise face à ce marché, une matrice SWOT, mais aussi la cartographie des parties prenantes, leurs influences et l’étude de ce que nos pairs font, face à de telles problématiques, c’est-à-dire l’analyse de la concurrence.
En design, on s’intéressera surtout aux usages et aux usagers, aux humains confrontés à cette problématique, à leurs besoins, à leurs ressentis, là où se situent réellement les problèmes, où et pourquoi sont-ils dans la difficulté… En bref, on s’intéressera aux pain points. Nous sommes dans la découverte. Ces deux approches concomitantes plutôt que successives s’appellent en design : l’empathie et l’exploration.
Ainsi, dans notre processus créatif, nous commençons par définir le cadre de la création. Encore une fois, on ne crée pas dans l’absolu. On trace les frontières de notre processus de création en identifiant avec qui on doit se mettre en empathie (nos persona), dans quel environnement (Le marché, le secteur…) et, dans un second temps, dans quelle direction (formulation du challenge, formulation de la question, problématique qui va tirer les fils de toute notre réflexion / création).
Une fois la question formulée, le challenge identifié, la montagne à gravir visualisée, le processus créatif peut enfin commencer.
Adapter la création à l’entreprise
À ce stade de la création, les idées fusent et partent spontanément dans tous les sens quand nous sommes dans des problématiques personnelles (exemple : comment faire manger des épinards à mon enfant qui déteste les légumes ? Les idées des parents sont généralement créatives et originales, spontanées, allant du camouflage du légume à la négociation…). En entreprise en revanche – imaginons que nous posons un problème analogue du type « comment faire remplir les documents juridiques à mes clients » –, nous mettons rapidement des barrières à cette spontanéité créative par réflexe, par habitude. L’entreprise, française surtout, n’aime pas trop la spontanéité, le « dans tous les sens » et « non rationalisé ».
Ce qu’il faut se dire à ce moment-là, c’est que nous ne sommes pas encore dans la production du rendu final, du livrable qui sera transmis aux décideurs. Nous sommes dans le processus. Et cette étape de divergence très large est absolument nécessaire pour réellement créer, c’est-à-dire produire quelque chose d’actuellement inexistant. C’est bien là l’objectif : sinon nous sommes dans le « re-use » qui peut aussi s’avérer très efficace. D’où l’importance de bien identifier notre problématique, notre carrefour car, avant de commencer le processus créatif, il faut être certain de l’utilité de s’y lancer.
Pour le savoir, c’est simple : on se pose la question « Se trouve-t-on dans une problématique qui n’a pas encore trouvé de solution pour être résolue ? ». Si la réponse est oui, c’est donc qu’il faut créer du « nouveau ». Comment alors créer les conditions nécessaires à la spontanéité divergente, à l’émission d’idées de toute sorte, au brainstorming ouvert dans l’exiguïté rationnelle de l’entreprise ?
Il faut d’abord réunir les bonnes personnes :
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- 1/ La création en entreprise ne se fait pas en étant seul avec soi-même. Il faut un groupe. C’est de l’échange, de la confrontation des idées simples que naissent les idées complexes (pour dépasser les concepts « tout faits », éculés). C’est ce qu’on appelle « l’intelligence collective ».
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- 2/ Cette confrontation d’idées doit donc avoir lieu. Question simple : à votre avis, si on met 7 personnes de profils absolument identiques, avec les mêmes parcours, travaillant dans le même service, sur les mêmes projets, ensemble. Y aura-t-il confrontation, c’est-à-dire échange de points de vue divergents (nous cherchons la divergence pour rappel !) ? Non, bien sûr. Pour que l’échange soit fertile, il faut donc réunir des personnes différentes. D’où la fameuse constitution des groupes « multidisciplinaires ».
À vous de jouer !
La deuxième condition est de faire diversion en créant un espace de spontanéité. Comment obliger les gens à être spontanés pour créer. Sûrement pas en leur disant « soyez spontanés ! »
Pour faire diversion et obliger les gens à créer sans s’en rendre compte, il faut les faire jouer. La puissance du jeu chez l’être humain est encore trop méconnue. [Pour aller plus loin sur le sujet, je vous recommande la lecture de « Jouer » de l’anthropologue Roberte Hamayon]. Le jeu suit des règles qu’il faut tout d’abord bien intégrer (ex : pas de censure, interdit de critiquer une idée, rebondir sur les idées des autres… les règles du brainstorming quoi). Et comme beaucoup ont déjà constaté la puissante efficacité du jeu dans la production d’idées en entreprise, aujourd’hui, chaque type de problématique a généralement un jeu dédié existant !
C’est le principe du gamestorming qui vous orientera vers le jeu adapté à votre « carrefour ». Vous voulez définir une cible ? Vous voulez creuser un sujet ? Changer d’angle d’attaque ? Ou plutôt prioriser ? Il existe un jeu pour chaque étape de la création. Depuis la grande divergence où les « crazy ideas » sont les bienvenues, jusqu’à la convergence aboutissant à la sélection des idées à mettre en œuvre.
Ainsi, vous saisissez maintenant pourquoi un processus créatif en entreprise n’est pas à prendre à la légère. Il ne suffit pas de dire : « Vous avez un Lab, créez ! » Ou : « Vous avez tel problème, brainstormez ! ». Créer nécessite une intention claire, une formulation du challenge précis et des conditions de créativité qui sont loin d’être un hasard et ne peuvent pas s’improviser.
D’où la spécialisation de certaines entreprises dans l’animation de sessions de créativité.
Créer les conditions de la créativité et amener le groupe à produire de vraies idées (c’est-à-dire des concepts nouveaux, détaillés et réellement ad hoc) est devenu une expertise, un métier à part entière, avec ses méthodes et ses exigences issues de longues années d’expérience. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le « game » est sérieux et très codifié. La créativité se fait dans l’effort et la persévérance, même si l’ambiance « fun » fait partie des conditions. En bref, pour créer, il faut être sérieux sans se prendre au sérieux.
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