Publié le 05/11/2019 Par Caroline Daury

Je pratique l’innovation par le design depuis quelques années et j’évolue donc dans une discipline nouvelle où chaque acteur se fait créateur. Dans l’innovation, nous apprenons beaucoup en marchant (merci l’itération), et c’est en marchant et en faisant que nous construisons aussi des théories et des pratiques encore en devenir. Et c’est passionnant ! Mais force est de constater qu’aujourd’hui, le design – et l’innovation par le design – reste un concept encore méconnu du plus grand nombre. Les termes d’innovation et de design interpellent et nécessitent explications. C’est pourquoi cet article (et les suivants) a vocation à tenter de partager ce concept de design, son sens profond et sa philosophie, plus que la pratique et les outils qui en découlent (et sur lesquels la littérature spécialisée est prolixe).

Au début (et c’est encore le cas en fait), on parlait de « Design Thinking ». Il est vrai que, étant donnée la façon dont cette discipline est comprise et appliquée dans les grands groupes néophytes dépourvus de direction du Design ou de l’Innovation, il était plus pertinent de parler de « manière de penser », de mindset, que de véritable « design ». Pratique le mindset ! Ça permet de dire qu’on fait du design ou de l’agile.

Maintenant, je vois souvent des articles ou des publications sur les réseaux sociaux qui affirment qu’on ferait du design sans le savoir. Je ne crois pas que ce soit vrai. Ou alors, en effet, comme Monsieur Jourdain fait de la prose. De la prose qui n’est pas du Molière. Tout dépend où l’on place le curseur.

Le design s’enseigne dans de grandes écoles internationales dédiées. Et je ne crois pas que deux jours de formation avec un cabinet d’innovation permettent réellement d’appréhender cette pratique.

Car avant la pratique, il y a l’histoire du design. Et en découle la philosophie. Tentons d’expliquer cette philosophie du design donc et ce que sont lesdits « designers ».

Le design, qu’est-ce que c’est ?

Le terme design vient de l’anglais et c’est déjà une première barrière à la compréhension globale de ce terme pour nous, Français intellectuels et cartésiens. Il ne s’agit pas de dessin mais de conception. Si on joue sur les mots, c’est même davantage de dessein que de dessin qu’il s’agit !

Le designer s’attaque à une problématique à résoudre et donc une stratégie à développer. Il part du problème. Un fait nouveau en entreprise où les projets partent généralement d’une solution a priori. Le designer, lui, ne répond pas à un cahier des charges mais intervient bien plus en amont. Quand on lance une démarche de design on accepte donc le fait que l’on ne sait pas où l’on va. Quand j’annonce cela à mes clients, patrons, commanditaires, je vois tout de suite à leur réaction s’ils ont compris la philosophie du design. S’ils sont partants pour l’aventure du « je ne sais pas quelle est la solution finale, mais je m’autorise à être ouvert, à explorer », c’est gagné ! La plus grosse partie est déjà faite. Ne reste plus pour moi qu’à dérouler.

Pour découvrir et cerner le problème auquel on s’attaque, le point de départ reste l’usage. L’usage actuel et ses « pain points » conscients ou (plus intéressant) inconscients. Prenons l’exemple d’une poignée de porte. Sans nous en rendre compte, il arrive souvent de glisser sa manche ou l’anse de son sac à main dans la poignée. On ne conscientise pas ce problème. C’est un pain point non conscientisé. Mais créer la poignée arrondie au bout qui évite ce désagrément, c’est déjà créer un nouvel usage, un nouveau besoin.

Un design « human centric »

L’usage implique donc nécessairement l’usager, c’est-à-dire l’humain. C’est en cela que le design est « human centric ». Mais le principe des buzz words, c’est qu’ils perdent leur sens. J’essaie ici de le leur restituer. Malgré les apparences et les tendances actuelles on voit bien que le principe de « human centric » n’a rien à voir avec une cause sociale ou durable. Non, car le design s’inscrit avant tout dans un contexte, une époque, une fugacité, un instant « t ». Surtout lorsqu’il est le vecteur d’innovations. Et pour tout dire, je ne vois pas ce que peut être l’objectif final du design si ce n’est l’innovation ? Le design est bien un processus créatif. Faire, produire une nouveauté (même infime, même incrémentale), voilà la finalité.

Designers, vous avez dit designers ?

Ainsi, on peut être « designer d’objet » comme notre cher Philippe Starck qui a conçu des chaises avec un nouveau « design », c’est-à-dire un nouvel usage et une nouvelle ergonomie.

Très proches de ce type de designer, nous avons aussi les « designers de produit » comme les équipes de designers chez Apple qui ont la responsabilité du look et de l’ergonomie de l’objet tenu en main. Se dessine alors déjà l’idée d’interface. Comment l’usager va-t-il entrer en contact avec le produit ou plutôt avec les fonctionnalités du produit. L’interface, c’est-à-dire l’expérience que j’ai avec le produit, est tout aussi importante que les fonctionnalités de celui-ci. De là, on comprend mieux qu’il est aussi possible de designer des services et des expériences. On commence à quitter le monde matériel pour l’abstraction du vécu. Et le mot « usage » prend tout son sens.

Ainsi, il y a des designers de service (pensez au service Amazon, la facilité de commande, achat, livraison) et proches d’eux, des designers d’expérience(s). Les fameux UX designers (user experience designers) qui ne sont pourtant pas des ergonomes, ni des UI (user interface, plus proches des graphistes) même si ces métiers se complètent et possèdent des frontières communes avec l’UX design.

L’expérience Disney

Chez Disney, par exemple, les designers d’expérience sont en charge de concevoir le parcours, « le morceau de vie » que vous allez « expérimenter » avant même votre entrée dans le parc, et ce jusqu’à ce que vous retourniez à votre voiture ou à votre RER.

Cette petite musique signée Disney qui, pour peu que vous ayez gardé votre âme d’enfant, commence déjà à vous saupoudrer des étoiles dans les yeux et dans le cœur (important le cœur, dans l’expérience !). Le trajet qui vous mène à l’entrée se transforme en expérience, il y a du suspense, une attente, du trac presque, oserai-je dire du désir ? Oui bien-sûr, un désir qui s’immisce en vous. Et là, vous comprenez le sens profond du « Désirable » dans le fameux triptyque « Désirabilité / Faisabilité / Viabilité » tant rabâché.

Qu’allez-vous ressentir en entrant, en passant sous ce portail qui vous surplombe ? Vous vous sentez petit, oui, vous vous sentez rétrécir, puisque surplombé. Telle Alice, vous atteignez la taille de l’enfant qui sommeille en vous.

« Vous en mettre plein la vue » est bien l’objectif à atteindre ici, pour les équipes de designers d’expérience. Des chemins variés et fantastiques s’ouvrent devant vous. Un château de conte de fée vous fait face, alors qu’à l’arrière-plan, une île de pirates se dessine dans la brume. Alors que vous tentez d’appréhender ce nouveau paysage, des personnages bien connus viennent vous faire coucou et semblent exaltés malgré leur silence. Pour combler ce silence, la musique a pris de l’ampleur et semble vous indiquer un paroxysme, un andante (pour les musiciens). Émus, désorientés, vous tentez de décider d’un programme quand l’odeur exquise des bretzels vous chatouille les narines. Si les designers avaient pu « jouer » sur la température ressentie, ils l’auraient fait (et peut-être y travaillent-ils actuellement ?).

Quelques outils …

Vous comprenez mieux les composantes de l’expérience. De là sont déclinés des outils, des démarches et méthodes, des templates que vous utilisez si vous êtes adeptes du Design Thinking. Les « persona » et leur « carte d’empathie » qui aborde les 5 sens, plus la pensée (qui serait le 6e sens ?), les parcours client qui détaillent chaque micro-expérience à toutes les étapes du cheminement, qu’il soit physique, virtuel ou digital, etc.

Ainsi, vous avez les premières clefs pour appréhender un peu mieux le fameux mindset du métier de designer d’expérience. Métier qui peut lui-même se décliner en designer d’organisation (si l’expérience de l’entreprise le nécessite), et bien-sûr en designer de stratégie qui n’est autre que la conception de l’expérience globale que l’entreprise va vivre et faire vivre à ses clients et à ses employés. Le designer d’expérience est celui qui conçoit l’expérience future de l’usager, donc celui qui conçoit l’expérience de l’humain avec tout ce que cela évoque. On est dans la création. C’est presque mystique comme métier quand on s’y penche un peu !

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Auteur

Caroline Daury

Actuellement Directrice de la Stratégie et de l’Innovation pour Meritis, Caroline a commencé sa carrière comme consultante dans une société de conseil en stratégie. Elle a dirigé des projets transverses de transformation pour de nombreuses banques, comme par exemple le Crédit Agricole, Banques Populaires ou encore BNP Paribas ou elle a contribué à la création de la cellule de conseil interne en Stratégie et Management, BNP Paribas Consulting,. Elle a été formée au design à l'ENSCI et à l’Ecole des Gobelins. A partir du design, elle a développé des approches et méthodes d'innovation par le design et mis en place des pratiques dédiées au top management. En 2017, elle crée le Lab de BNP Paribas Securities Services : un espace dédié à l'expérimentation, le « test & learn » et au design stratégique. Caroline mène des démarches où elle mixe stratégie, design et innovation pour accompagner l’entreprise dans sa croissance, la transformation de son organisation, l'émergence de l'innovation, l’amélioration de l’expérience employé et le développement de nouvelles offres.