Publié le 04/10/2021 Par Christophe EL HARAKE

Après les obligations vertes, les obligations bleues ! Dédiées aux projets marins et océaniques, elles offrent de nouvelles perspectives en termes d’investissement durable… à moins qu’il ne s’agisse que d’un simple blue washing ? La réponse est dans cet article.

Les océans occupent les trois quarts de la surface de la Terre et contiennent 97 % de l’eau de la Terre, soit, en volume, 99 % de l’espace de vie disponible sur Terre. Vue de l’espace, la Terre apparaît bien comme la « planète bleue ». Essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes et des sociétés humaines, l’eau reste pourtant mal comprise des différents acteurs (entreprises commerciales et industrielles, décideurs politiques, consommateurs). Mal gérée, elle peut également devenir source de dysfonctionnement. Toutefois, depuis quelques années, on constate une prise de conscience à l’échelle planétaire des enjeux environnementaux. Dans ce contexte, les obligations bleues peuvent-elles devenir de véritables instruments de protection des océans ou s’agit-il de blue washing ?

Pour bien illustrer la situation, nous pouvons reprendre les mots de Craig Leeson, documentariste et ambassadeur de la Global Sustainability à BNP Paribas :

« Apprendre qu’un volume de glace de la taille du Titanic fond toutes les 10 secondes dans l’Antarctique est peut-être l’un des faits les plus marquants que nous avons appris l’année dernière. Cela signifie plus de 8 000 Titanics de glace par jour. »

Au regard de l’urgence environnementale, de nombreuses initiatives ont été prises en faveur des projets liés à l’eau et d’une utilisation durable des océans. À titre d’exemple, la Semaine mondiale de l’eau a lieu chaque année à Stockholm et regroupe les acteurs du secteur pour leur permettre d’échanger sur les défis mondiaux liés à l’eau.

un enfant enlacant la planète terre

Introduction aux obligations vertes

Dans ce cadre, la finance durable a un rôle considérable à jouer. Fin 2007, la Banque mondiale émettait la toute première obligation verte pour un fonds de pension suédois. De quoi s’agit-il ?

Une obligation verte est un titre de dette émis sur les marchés financiers destiné à financer des projets de lutte contre le réchauffement climatique et de soutien à la transition énergétique.

La première obligation verte a ainsi marqué l’histoire de la finance en modifiant fondamentalement les modes de collaboration entre investisseurs, spécialistes du développement, responsables politiques et scientifiques.

Aujourd’hui, les green bonds tendent à se diversifier, comme en témoigne l’émergence des obligations bleues (blue bonds ou water bonds) spécifiquement allouées à des projets concernant l’eau et ses usages. Étant donné les enjeux liés à l’eau, la Banque mondiale a lancé une série d’obligations de type water bonds avec un objectif de 3 milliards d’euros dans le domaine de l’eau.

Obligation bleue : à la pêche d’une solution durable

Une obligation bleue est un instrument d’emprunt émis par les États, les banques de développement mais aussi certaines institutions afin de lever des capitaux. Objectif : financer des projets marins et océaniques ayant un impact positif sur l’environnement, l’économie et le climat.

Directement inspirée des obligations vertes, concept plus connu du grand public, l’émission de ces obligations bleues vise à promouvoir la mise en œuvre et la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations Unies et, plus particulièrement, de l’ODD 14 qui vise à conserver et à exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines.

Les principes des obligations bleues

De nouvelles directives sur la structuration des investissements bleus ont été publiées par le biais des 14 Sustainable Blue Economy Finance Principles (SBEFP). Ces derniers fournissent un cadre pour les décisions de financement des activités bleues :

  • Les sept premiers principes sont basés sur les concepts existants en termes d’investissements verts et durables ;
  • Les sept autres ont été spécifiquement développés pour répondre aux spécificités de l’investissement bleu.

Afin de mettre en œuvre les principes de financement de l’économie bleue, ces derniers sont combinés avec des principes directeurs régissant les investissements verts et durables sur le marché obligataire, comme ceux de l’International Capital Markets Association (ICMA).

Le SBEFP indique que le financement doit contribuer directement à la réalisation de l’ODD 14. De même, le principe sur la « transparence » exige de rendre tous les impacts positifs et négatifs, environnementaux, sociaux et économiques, disponibles et de rendre compte des progrès réalisés via un reporting identique à celui du principe de l’ICMA.

Néanmoins, trois aspects se distinguent fortement dans le SBEFP par rapport aux principes de l’ICMA :

  • Une forte intégration des critères ESG
  • Une forte intégration des impacts positifs
  • Une démarche plus inclusive

Les obligations bleues au niveau européen

Drapeau de l'union européenne

Dans le cadre du plan d’action de la Commission européenne pour une économie plus verte et plus propre, une nouvelle taxonomie [GD1] [CEH2] et une nouvelle norme de ce qui constitue une activité verte dans le financement de produits est en cours d’élaboration. Ces pratiques ont pour objectif d’harmoniser les règles d’investissement écologique dans toute l’Union européenne.

Par conséquent, la conception des obligations bleues devrait être alignée sur les nouveaux travaux de taxonomie, tout en répondant au cadre politique de plus en plus complet de l’économie bleue.

Par ailleurs, comme pour les obligations vertes, les émetteurs des prêts doivent être tenus de publier un rapport annuel permettant aux investisseurs de suivre l’avancée du projet. À titre d’exemple : « Pour les Green bonds d’EDF, le respect de ces principes applicables aux obligations vertes (Green Bond Principles) fait l’objet de revues externes, ex-ante, au moment de l’émission puis, ex-post, une fois les projets financés », explique Xavier Girre, directeur exécutif en charge de la direction financière groupe chez EDF.

La mise en place et le succès des obligations bleues nécessitent donc :

  • Un pipeline de projets acceptables de taille suffisamment importante. Les banques multilatérales de développement peuvent aider par le biais de critères de sélection de projets bleus et des cadres politiques.
  • L’élaboration de projets adaptés avec des retours identifiés et des évaluations solides de leurs impacts positifs sur les écosystèmes marins et côtiers.
  • Une sensibilisation croissante des acteurs potentiels du marché à l’économie bleue.
  • Des procédures de suivi et de vérification adéquates.
  • Des procédures de gestion de l’impact adéquates.

L’innovation blue bond : l’émission des Seychelles en 2018

La première obligation bleue a été émise en octobre 2018 par la République des Seychelles (notée BB- par Fitch) pour un montant de 15 millions de dollars avec une maturité de 10 ans et un coupon de 6,5 %. La Banque mondiale a garanti le remboursement pour un tiers du nominal.

De son côté, le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) des Nations Unis a octroyé un prêt concessionnel de 5 millions de dollars pour aider à couvrir le paiement des coupons. Ces instruments de rehaussement de crédit ont permis d’abaisser le taux de coupon à 2,8 % et de réduire le risque encouru par les investisseurs.

Les fonds serviront à doter en capital le Blue Grants Fund (3 millions de dollars) et le Blue Investment Fund (12 millions de dollars), et ainsi leur permettre de financer des activités marines et océaniques contribuant à la transition vers une pêche durable. Ces fonds seront gérés par le Fonds des Seychelles pour la conservation et l’adaptation au changement climatique (SeyCCAT), et par la Banque de développement des Seychelles (DBS).

Le projet a pour but de renforcer la résilience des Seychelles aux effets du changement climatique via :

  • L’extension des aires marines protégées à 30 % de la Zone Économique Exclusive (ZEE) du pays ;
  • La promotion d’une pêche durable correctement gérée et contrôlée.

Le projet s’inscrit dans la volonté d’aider le pays à diversifier son économie et à limiter sa vulnérabilité aux aléas climatiques, en développant certaines activités. Il s’attache pour cela à étendre les chaînes de valeur des produits de la mer.

Obligation bleue : sauver les poissons ou conduire les océans à la faillite ?

Une des principales critiques des obligations vertes est qu’elles ne sont pas toujours très vertes. Ces dernières peuvent être un outil pour « blanchir » l’argent si les fonds ne sont pas utilisés aux fins prévues ou si l’émetteur n’est pas en mesure de prouver que les produits ont financé des projets ayant un impact positif. Les critères sont vagues et encouragent les émetteurs d’obligations à payer une évaluation par des tiers qui démontrerait la « couleur verte » de l’instrument.

Le spectre du blue washing

UN Global Compact

À l’origine, le terme blue washing, proche de celui du green washing, a été utilisé pour qualifier les actions des entreprises utilisant le logo bleu du Pacte mondial des Nations Unies pour démontrer une gouvernance d’entreprise durable, alors même qu’elles étaient également poursuivies pour le travail de jeunes enfants, l’esclavage et la corruption.

Par exemple, Nestlé a affirmé respecter les 10 principes de ce Pacte alors que l’entreprise a fait l’objet de nombreuses poursuites judiciaires pour le travail de jeunes enfants dans sa chaîne d’approvisionnement en cacao. Comme H&M, L’Oréal et nombre d’autres sociétés, Nestlé n’utilise le Pacte mondial que comme une stratégie marketing. Mais jusqu’à présent, il n’existe pas de véritables sanctions pour les entreprises qui lavent leur image au bleu.

Comment éviter le blue washing dans le cadre des obligations bleues ?

Certaines institutions comme JP Morgan ou le Crédit Suisse font la promotion des obligations vertes tout en continuant d’investir dans des obligations peu respectueuses de l’environnement. Un constat également vrai pour la Banque mondiale qui a fait la promotion du marché des obligations vertes tout en générant davantage de fonds pour l’installation de nouvelles centrales à charbon.

Ainsi, une solution possible serait de mettre l’accent sur la limitation des risques, y compris en faisant campagne pour des directives volontaires plus fortes et l’engagement des banques à être transparentes. En parallèle, les organisations de la société civile pourraient également décider d’investir du temps et des ressources dans le contrôle des obligations bleues, et de mettre en place leurs propres évaluations indépendantes.

Conclusion

Les obligations bleues constituent de véritables instruments de protection des océans. Les enjeux liés à l’eau peuvent être appréhendés selon deux approches. D’une part, les obligations bleues peuvent permettre de financer l’économie bleue (en particulier pour les petits États insulaires en développement). D’autre part, elles peuvent s’intégrer dans un cadre plus large du marché obligataire durable, avec la mise en place d’un ensemble de projets définis. Des mesures qui peuvent notamment concerner la conservation et la restauration des milieux marins et côtiers, l’approvisionnement en énergie marine, la gestion de l’eau et des inondations, la prévention de la pollution sur Terre et en mer, ou le soutien à la pêche durable.

L’intérêt des investisseurs concernant l’impact social et environnemental de leurs placements reflète une évolution fondamentale des marchés obligataires. Avec le succès des obligations vertes, les investisseurs participent aux initiatives de respect de l’environnement tout en réalisant des gains. Quant aux émetteurs, ils s’engagent auprès des investisseurs pour leur démontrer que leurs obligations offrent des perspectives de rendement financier et social. Au vu de l’urgence et de l’ampleur du problème des milieux marins, les obligations bleues doivent absolument gagner en visibilité. Non standardisées et encore perçues comme à risque, il faut insister sur la transparence de ces obligations bleues afin d’éviter que ces investissements ne deviennent les prochaines cibles du blue washing.


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Auteur

Christophe EL HARAKE

Titulaire d'un Master 2 en Finance de marché à l'Université Paris Dauphine, Christophe est passionné par les marchés financiers. Son objectif ? Rendre la finance accessible à tous ceux qui s’y intéressent, qu’ils disposent ou non de connaissances préalables, et favoriser l’éducation financière des individus.