Publié le 10/03/2020 Par Jérémie ABENSOUR

Qu’est-ce que la marge initiale ? La marge initiale (ou Initial Margin) représente le collatéral (cash ou titres) que chacune des contreparties échange au moment de la conclusion d’un Trade OTC sur certains produits dérivés. Ce collatéral permet à chacune des parties de réduire le risque de marché associé au Trade. Dans cet article, nous allons détailler deux éléments clés associés à la marge initiale. Nous allons tous d’abord définir les neuf contraintes de la méthode SIMM (Standard Initial Margin Methodology) et nous détaillerons ensuite la structure générale de calcul de la marge initiale.

Un peu d’histoire

Pour commencer, il est intéressant de revenir brièvement sur l’historique du sujet. Le BCBS (Basel Committee on Banking Supervision) a publié en février 2013 le résultat de la QIS (Quantitative Impact study) sur la mise en application de la réglementation sur la marge initiale. Cette étude montre que, si on utilise une méthode de calcul de marge initiale basée sur un modèle à plusieurs facteurs de risques, l’impact est de 0,7 trillion d’euros avec un seuil de notionnel de Trade bilatéral au-dessus de 50 millions d’euros par contrepartie.

Si, en revanche, on utilise le modèle Schedule, modèle beaucoup plus conservateur que le modèle avec sensibilités et facteurs de risque, l’étude démontre que l’impact est de de 8 trillions d’euros avec un seuil de 50 millions d’euros par contrepartie. L’industrie en a donc conclu que la mise en application de la réglementation sur la marge initiale était faisable avec l’utilisation d’un modèle mais que l’utilisation du modèle Schedule (standard) ne l’était pas, 8 trillions d’euros étant une somme beaucoup trop importante à réclamer à l’industrie pour constituer le collatéral demandé.

La mise en place de la réglementation de la marge initiale avec utilisation d’un modèle pose également le problème de la résolution de conflits. En effet, si chaque participant construit son propre modèle de marge initiale, chaque contrepartie doit construire le modèle de sa contrepartie pour être certaine que l’appel de marge initiale est correct. C’est pourquoi la réplication du modèle de marge initiale de chacune de ses contreparties paraît alors impossible. La difficulté se résume à deux aspects essentiels :

  • La première est de mettre en place les mêmes algorithmes pour chacune des contreparties.
  • La seconde consiste à avoir les mêmes jeux de données de Market Data.

En conséquence, l’industrie a cherché avec le WMCR (Working Group on Margin Requirements) un modèle standard de marge initiale que chaque contrepartie pourrait utiliser pour effectuer les appels de marge initiale. L’ISDA (International Swap and Derivatives Association) a donc constitué un comité composé de membres du Sell Side et du Buy Side pour définir cette méthodologie.

L’existence d’une méthodologie commune à tous les participants fournit plusieurs avantages tels que la possibilité de régler les litiges de manière rapide et transparente, ou la mise à disposition d’une réglementation globale et cohérente. Pour atteindre ces objectifs, des accords entre les acteurs du marché et les autorités de régulation se sont alors avérés nécessaires. La réglementation exige que chacune des contreparties d’un Trade OTC sur produits dérivés échange une marge initiale pour la prise en compte du risque de marché. Pour ce faire, deux méthodes alors possibles :

  • La méthode « Schedule »
  • La méthode basée sur un modèle

Dans le but de faciliter l’application de la règlementation finale du BCBS, « Margin requirements for non-centrally cleared derivatives » publié le 2 septembre 2013, l’ISDA propose le modèle SIMM (Standard Initial Margin Methodology) qui peut être utilisé par tous les acteurs du marché.

Les neuf contraintes de la méthode SIMM

Quelles sont précisément les limites du modèle SIMM ? Présentation ci-dessous des neuf contraintes associées.

La non-procyclicité

Les appels de marge initiale ne doivent pas être sensibles à la volatilité de marché. En effet, l’ISDA a démontré que si on lie la marge initiale à la volatilité des marchés ou au niveau des marchés, il est possible que le nombre de défauts de la contrepartie augmente. Or le but recherché ici est justement de faire diminuer le risque de contrepartie (le risque que la contrepartie au contrat ne respecte pas ses engagements) pour les transactions bilatérales sur certains dérivés OTC.
L’ISDA a donc décidé de ne pas lier la marge initiale à la volatilité des marchés mais plutôt d’intégrer dans sa calibration périodique des scénarios de stress historiques que l’on pourra mettre à jour au fil du temps.

La facilité de réplication

Sur un même portefeuille de transactions et sur le même jeu de données, les calculs faits par chacune des contreparties doivent être faciles à répliquer.

La transparence

Les calculs doivent être en mesure de fournir leur contribution à différentes composantes pour permettre la résolution efficace des conflits.

La rapidité de calcul

Faible coût de calcul pour permettre une rapidité de calcul et re-run lorsque les contreparties en font la demande.

L’extensibilité

La méthode utilisée doit permettre l’addition de nouveaux facteurs de risques ou de produits comme exigé par l’industrie ou les autorités de régulation.

La prédictibilité

La marge initiale exige d’être prédictive pour garder une cohérence dans le pricing et permettre aux acteurs de marché d’allouer du capital en fonction de chaque transaction.

Les coûts

Les coûts opérationnels doivent être raisonnables pour l’industrie, les participants et les autorités de régulation.

La gouvernance

Reconnaissance des rôles et des responsabilités entre les régulateurs et l’industrie

La pertinence des appels de marge

L’utilisation de portefeuilles importants ne doit pas conduire pas à la surestimation du risque. Il est nécessaire de prendre en compte les effets de diversification et de réduction du risque dans chaque classe d’actifs.

Afin de prendre en compte les neuf contraintes émises par le régulateur, l’ISDA (International swap and derivatives association) a fait la proposition d’utiliser un modèle unique à plusieurs facteurs le modèle SIMM (Standard Initial Margin Methodology). Nous allons dans la suite de l’article détailler les différentes étapes de calcul de l’initial Margin avec la méthodologie SIMM.

La structure générale de calcul de la marge initiale

Le calcul de la marge initiale se décompose en deux étapes. Dans la première étape, les scénarios de chocs de marchés pour chacun des facteurs de risque sont appliqués au portefeuille. Les changements de valorisation à la suite des différents scénarios de marchés sont enregistrés dans une table. Un scénario de chocs peut être spécifique à chaque facteur de risque comme dans les modèles factoriels ou représenter un choc à tous les facteurs de risque simultanément, comme dans les scénarios de Var historiques. Chaque scénario représente un changement de chacun des facteurs de risque sur un horizon de 10 jours.

Dans une deuxième étape, une fonction d’agrégation de ces changements de valorisation est appliquée là où les différentes valorisations sont classées. La fonction d’agrégation prend comme valeur d’entrée le jeu des changements de valorisations du portefeuille déduits des chocs à chacun des facteurs de risque et produit une mesure unique qui permet la synthèse de la mesure du risque. Dans les modèles de Var, la fonction d’agrégation A classe les P&L du gain le plus important à la pire perte, et choisit le P&L correspondant au niveau de confiance désiré (par exemple : 99e quantile).

Comment formaliser mathématiquement ces deux étapes

Chacun des scénarios S dans est défini comme un jeu de chocs où désigne le nombre de facteurs de risque.

La première étape consiste à calculer le changement de PV dans le portefeuille P :

La deuxième étape consiste à appliquer la fonction d’agrégation A à
La marge initiale du portefeuille s’écrit donc

Chacun des facteurs de risque tombe dans une des quatre classes d’actif identifiés :

  • Taux et change
  • Action
  • Crédit
  • Matières premières

On sépare les facteurs de risque en quatre groupes correspondant à chacune des classes d’actifs et on fait une évaluation de la marge initiale séparément pour chaque classe d’actif.
Enfin, on somme les résultats. Dans le détail : on prend tous les facteurs de risque associés au risque EQUITY ; on applique les scénarios de choc au portefeuille ; et on applique ensuite un agrégateur à ces changements de PV du portefeuille. On fait la même chose pour chacune des 4 classes d’actifs et on additionne ensuite les 4 résultats. De cette manière, on aura un effet de la diversification uniquement à l’intérieur de chaque classe d’actifs.

Pour chaque jeu de facteurs de risque, on a donc :

On définit ensuite le jeu de scénario pour les facteurs de risque dans chacune des 4 classes d’actifs .
L’objectif ici est d’avoir des scénarios de marché pour chacune des grandes classes d’actifs que l’on observe sur les marchés.
On applique ensuite au portefeuille les différents scénarios pour chacun des facteurs de risque et on en déduit les changements de PV, D(i)(P).

On applique ensuite la fonction d’agrégation pour chacune des 4 classes d’actifs à la série de changements de PV du portefeuille pour avoir la marge initiale sur chaque classe d’actifs :

L’ISDA occupe une place prépondérante dans la régulation autour des produits dérivés. Nous avons pu observer une fois de plus avec la méthodologie SIMM à quel point il est essentiel d’avoir un organe central qui propose un modèle de calcul transparent, facilement reproductible par chaque contrepartie avec un coût de mise en place raisonnable pour l’industrie. Le modèle SIMM que propose l’ISDA répond donc avec pertinence au cahier des charges du régulateur et se trouve par ailleurs adopté par la majorité des intervenants.

La documentation officiel de la marge initiale par l’ISDA :

https://www.isda.org/book/summary-of-isda-initial-margin-documentation/

A lire aussi du même auteur :

L’approche standard dans la FRTB

Présentation des produits structurés

Pas encore de commentaires

Publier un commentaire

Auteur

Jérémie ABENSOUR

Après un début de carrière en tant qu'analyste quantitatif, Jérémie travaille dans le conseil pour les établissements financiers depuis 2009. Passionné par la finance de marché, Jérémie aime donner du sens aux équations !