Publié le 05/02/2021 Par Christophe El Harake

Les normes IFRS, destinées à standardiser les données comptables à un niveau international, simplifient les échanges entre les pays.
L’objectif de l’article est d’analyser les conséquences de l’adoption de ces normes sur l’évaluation des entreprises nouvellement cotées sur le marché…

L’application des normes IFRS aux introductions en bourse peut-elle donner des informations sur la qualité et la comparabilité des entreprises ? Parmi les articles qui se sont intéressés au phénomène de sous-évaluation, peu d’entre elles ont concentré leur attention sur les effets que les informations contenues dans les états financiers pourraient avoir sur l’évaluation des actions qui seront placées sur le marché. L’objectif de cet article est donc d’analyser les conséquences de l’adoption des normes IFRS sur l’évaluation des entreprises nouvellement cotées sur le marché.

Une introduction en bourse peut être définie comme étant l’opération par laquelle une entreprise transforme tout ou partie de son capital en actions négociables sur les marchés boursiers. Cette opération lui permet de soutenir sa croissance, d’ouvrir son capital à de nouveaux investisseurs (institutionnels, particuliers, salariés, etc.), de financer de nouveaux projets et d’accroître sa notoriété. Ce phénomène, mesuré par des taux de rentabilité anormalement élevés en moyenne à l’issue des premiers jours de cotation d’une action nouvellement admise, varie selon les pays et les périodes.

De nombreuses études ont essayer d’expliquer les motivations des dirigeants d’entreprise à sous-évaluer le prix de leur introduction en bourse. Une première motivation de la décote serait d’augmenter au maximum les chances de réussite de l’opération en offrant à l’investisseur une prime pour l’asymétrie d’informations qu’il subit sur la vraie valeur de l’entreprise.

Une deuxième motivation est que les investisseurs attachent de l’importance non seulement à leurs propres informations mais également à la volonté des autres investisseurs d’acheter les titres proposés. Par conséquent, même si les investisseurs disposent d’informations favorables, si ces derniers n’achètent pas de titres, ils risquent de ne pas en acheter non plus. Ainsi, la sous-évaluation doit être suffisamment importante pour convaincre le premier investisseur de souscrire de manière à créer une cascade informationnelle positive.

Normes IFRS : présentation

L’adoption des normes internationales d’information financière IFRS (International Financial Reporting Standards) par plus de 100 pays depuis 2004 constitue un développement majeur de la régulation comptable internationale. Depuis 2005, presque toutes les sociétés européennes cotées en bourse sont tenues d’établir leurs états financiers conformément aux normes IFRS. Ces normes sont destinées à standardiser les données comptables à un niveau international. Ainsi, les échanges entre les pays sont plus fluides et plus simples.

L’harmonisation de la comptabilité et de la pratique comptable des pays représente l’un des principaux avantages de la mise en œuvre des normes IFRS, engendrant une meilleure comparabilité entre les entreprises. Les normes IFRS ont donc pour but de faciliter la comparabilité des entreprises, mais aussi de diminuer les coûts et d’augmenter la transparence des informations en permettant aux parties prenantes de mieux comprendre les résultats financiers des entreprises du monde d’entier. Cette meilleure compréhension des résultats permettra aux investisseurs de prendre de meilleures décisions et d’établir des prévisions plus précises des performances futures des entreprises.

L’utilisation des normes IFRS permettrait alors aux entreprises de bénéficier d’une réduction de l’asymétrie de l’information et du coût du capital, offrant à tous les investisseurs le moyen de prendre des décisions d’investissement plus efficaces et plus éclairées. En d’autres termes, les normes IFRS permettent d’envoyer un signal positif au marché et offrent plus d’informations aux investisseurs. Cette divulgation d’informations comptables aura tendance à réduire les manipulations des résultats et d’accroître, par la même occasion, l’efficience des marchés. Les IFRS permettent ainsi de fournir une information de qualité par rapport aux GAAP nationaux.

La sous-évaluation des introductions en bourse

La sous-évaluation est un phénomène observé depuis de nombreuses années sur les marchés financiers même si le niveau de cette sous-évaluation a varié dans le temps et s’avère parfois coûteuse pour les entreprises. En effet, aux États-Unis, une introduction en bourse coûtait en moyenne 7 % dans les années 80 contre 15 % dans les années 1990-1998 avant d’atteindre un sommet à 65 % au cours de la bulle internet. Bien que le degré́ de sous-évaluation dépende de sa mesure et soit probablement influencé par des règlementations nationales et fiscales, la sous-évaluation à l’introduction est observée sur l’ensemble des marches boursiers américains et européens.

L’asymétrie d’informations

Les modèles de sous-évaluation basés sur les asymétries d’informations expliquent que certains investisseurs bénéficient de plus d’informations que d’autres. Le modèle de la « malédiction du vainqueur », introduit par Rock[VC1]  en 1986, se base ainsi sur l’asymétrie d’informations entre les souscripteurs, les sociétés émettrices et les investisseurs.

Il existe deux types d’investisseurs. Les investisseurs informés et les investisseurs non informés sur la valeur intrinsèque de l’entreprise qui s’introduit en bourse. Les premiers peuvent distinguer les firmes sous-évaluées de celles surévaluées lors de l’introduction en bourse. Ainsi, les investisseurs informés souscrivent aux actions lorsque le prix d’offre est inférieur à la valeur intrinsèque de l’action. Comme indiqué dans le mémoire de Hady Kane Diallo que l’on peut consulter en ligne :

« Cette forte demande génère une apparente sous-évaluation qui se traduit par une forte rentabilité après l’introduction ».

Lorsque les actions sont surévaluées, c’est-à-dire lorsque que le prix de l’action dépasse la valeur intrinsèque de celle-ci, seuls les investisseurs non informés transmettent des ordres d’achat. Ils reçoivent donc dans ce cas 100 % de leur demande. Ainsi, la rentabilité́ obtenue par ces investisseurs peu informés est généralement plus faible. Elle peut même se traduire par une rentabilité négative pour des introductions particulièrement surévaluées et, par conséquent, peu ou pas demandées par des investisseurs mieux informés.

Pour éviter la disparition de ces « investisseurs malchanceux », il serait donc nécessaire que ces derniers obtiennent, en moyenne, des rentabilités positives et que les introductions de titres soient suffisamment sous-évaluées. Toujours dans son mémoire, Hady Kane Diallo remarque que :

« Cette relative sous-évaluation, coûteuse pour les firmes émettrices, peut conduire à des tentatives de réduction de celle-ci ».

Les introductions en bourse doivent être suffisamment sous-évaluées afin d’attirer la participation des investisseurs non informés dans l’opération. Ainsi, ces investisseurs se trouve face « à la malédiction du vainqueur ». En revanche, lorsque le prix fixé lors de l’introduction en bourse est sous-évalué, les deux types d’investisseurs souscrivent et l’offre d’actions devient rationnée entre les deux groupes.

La sous-évaluation des entreprises doit donc être suffisamment importante pour permettre aux investisseurs non informés de réaliser en moyenne un gain positif sur leur stratégie consistant à souscrire à toute les offres. On pourrait résumer ce phénomène par la phrase suivante :

« Plus grande est l’incertitude sur la valeur de la firme, plus le niveau de sous-évaluation doit être important pour attirer les investisseurs non informés à participer à l’offre de capital. »

La révélation d’informations

Cette notion suppose l’existence d’une asymétrie d’informations sur le prix d’introduction, et le niveau de la demande sur les actions entre l’agent introducteur et les investisseurs.

La sous-évaluation initiale peut être représentée comme un signal par les entreprises pour amener les investisseurs informés à révéler l’information privée sur la demande d’actions durant la phase de souscription, ce qui permet aux intermédiaires de mieux valoriser l’offre. Les actions sous-évaluées se caractérisent par une meilleure performance à court-terme.

Cependant, le prix de l’offre est « partiellement » ajusté en fonction de l’arrivée de nouvelles informations sur le marché. Dans ce cas précis, la sous-évaluation peut être utilisée pour récompenser les investisseurs pour l’information qu’ils ont fournie sur la société. Par conséquent, plus l’information recueillie avant la période de souscription est de bonne qualité, plus le niveau attendu de sous-évaluation sera important. Les investisseurs qui fournissent une information de qualité à l’agent introducteur se voient attribuer une part d’actions plus importante que les autres. De ce fait, l’information privée recueillie avant la période de souscription serait un déterminant du « processus de prix » plus important que le comportement même de l’investisseur.

Les entreprises sous-évaluent donc pour inciter les investisseurs à participer à des augmentations de capital. Cette sous-évaluation est utilisée comme un signal par les entreprises. En effet, les entreprises levant moins de fonds initialement, seules les entreprises de qualité́ sont en mesure de supporter cette sous- évaluation, ce qui permet aux investisseurs de distinguer les bons candidats des mauvais. Ainsi, l’IPO qui conduit à une perte immédiate est un bon signal pour montrer que l’entreprise est de bonne qualité. Les entreprises les moins sous-évaluées lors de l’introduction génèrent plus de bénéfices, distribuent plus de dividendes et ont tendance à réaliser plus d’augmentation de capital.

Normes IFRS et introductions en bourse

En comparaison avec les normes françaises, les normes IFRS présentent plusieurs avantages non négligeables. Ces avantages permettent d’améliorer la qualité des données comptables pour les investisseurs et réduisent, par la même occasion, l’asymétrie d’informations.

Qualité et comparabilité

L’utilisation des normes IFRS plutôt que les normes américaines GAAP (Generally Accepted Accounting Principles) par les entreprises nouvellement introduites en bourse peut impacter le niveau de sous-évaluation des introductions à travers deux mécanismes : la qualité et la comparabilité des rapports financiers. Une des explications à cela est que les normes IFRS peuvent réduire la sous-évaluation des introductions en bourse si ces normes fournissent une qualité d’information supérieure aux GAAP du pays.

En effet, l’adoption des normes IFRS, censée limiter la discrétion managériale, amène les firmes à divulguer des informations comptables plus pertinentes que celles des entreprises qui appliquent les normes locales. La publication de résultats sous des normes de plus haute qualité reflète mieux la réalité sous- jacente économique de la firme.

Le deuxième mécanisme par lequel l’adoption des normes IFRS pourrait réduire la sous- évaluation des introductions en bourse consiste à améliorer la comparabilité des états financiers. Grâce à une comparabilité accrue, les investisseurs peuvent comparer des entreprises situées partout dans le monde. Ainsi, l’utilisation de ce référentiel permet aux investisseurs de comparer non seulement les états financiers de sociétés intervenant dans un même secteur d’activité mais aussi entre sociétés appartenant à des secteurs différents. La possibilité de comparer les similitudes et les différences entre les entreprises opérant dans le même secteur partout dans le monde devrait réduire les asymétries d’informations entre les investisseurs.

L’impact des normes IFRS

La réduction de l’asymétrie d’informations peut être représentée comme une conséquence positive de l’introduction des normes IFRS, dont le but est d’améliorer la transparence et la comparabilité de l’information comptable. Ainsi, l’utilisation de telles normes devrait donc avoir in fine un effet positif sur l’efficacité des politiques d’investissement.

Les normes IFRS peuvent en réalité avoir un double effet sur l’efficacité des politiques d’investissement : un effet positif direct, en atténuant l’asymétrie d’informations, et un effet négatif indirect, en réduisant le conservatisme. L’adoption obligatoire de telles normes entraîne une amélioration de la comparabilité, elle-même mesurée par l’augmentation des investissements internationaux.

Conclusion

Aujourd’hui, presque toutes les sociétés européennes cotées en bourse sont tenues d’établir leurs états financiers conformément aux normes IFRS. Ces normes ont pour but de faciliter la comparabilité des entreprises, de diminuer les coûts et d’augmenter la transparence des informations en permettant aux parties prenantes de mieux comprendre les résultats financiers des entreprises du monde d’entier. L’adoption des normes IFRS augmente alors la qualité de l’information financière et réduit ainsi l’asymétrie d’informations, ayant pour conséquence de réduire la sous-évaluation des introductions en bourse.

Sources 

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Rock, K. 1986. Why new issues are underpriced. Journal of Financial Economics 15: 187– 212.

Tayeb Saadi, Crétion de valeur: l’impact des normes IFRS sur le contenu informationnel du resultat net : le cas de la france, HAL

Thomas J. Boultona,, Scott B. Smarb, Chad J. Zutter, Worldwide Short Selling Regulations and IPO Underpricing

Hady Kane Diallo, La valorisation des societes françaises introduites sur les nouveaux marches de la Bourse de Paris


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Auteur

Christophe El Harake

Titulaire d'un Master 2 en Finance de marché à l'Université Paris Dauphine, Christophe est passionné par les marchés financiers. Son objectif ? Rendre la finance accessible à tous ceux qui s’y intéressent, qu’ils disposent ou non de connaissances préalables, et favoriser l’éducation financière des individus.