Nous connaissons tous le nom de Wall Street, la place boursière de New York considérée comme le centre névralgique des marchés modernes. Lieu réel aussi bien que de fantasme, à la fois berceau de l’irrationnel, de la frénésie, de l’excès et d’années glorieuses mais aussi endroit précurseur d’immenses krachs affectant le monde entier. Comment « la petite rue du mur » s’est-elle hissée au rang de noyau de la finance mondiale ? Toutes les explications dans cet article.
Introduction : Quand a été créé wall street ?
Wall Street trouve ses origines au XVIIe siècle, dans la toute jeune Amérique. Nouveau monde rempli d’or, de pierres précieuses et de richesses. Un siècle après sa découverte par Christophe Colomb, puis son exploration par de nombreux conquistadors intrépides, le quatrième continent ouvre ses portes à tous les colons qui souhaitent y faire fortune.
Parmi eux, les Hollandais, peuple de marchands qui jouent alors un rôle central en Europe, voient une formidable opportunité de développer leur commerce. Contrairement aux premiers colons, ils ne mettent pas le pied en Amérique pour conquérir la terre, mais pour y commercer. Installés sur la côte Est, ils rachètent en 1640 aux indiens autochtones une partie de l’actuel Manhattan pour la modique somme de 24$ et font ériger autour une palissade pour protéger leur colonie.
Pourquoi wall street est important ? Un emplacement géographique idéal
La domination anglaise sur l’Amérique du Nord qui s’établit en 1664 ne gêne nullement nos commerçants qui continuent à envoyer fourrures et peaux vers l’Europe. Alors que Manhattan prend de l’ampleur et que les marchandises affluent dans les ports de la côte Est, les Hollandais vont vite se rendre compte qu’ils ont choisi sans le savoir l’un des emplacements les plus stratégiques pour établir leur colonie. Rapidement, ils tracent une voie au pied de la palissade pour relier les deux plus grosses artères commerciales de l’époque : l’Hudson et l’East River.
L’origine du quartier financier et l’origine du nom Wall Street.
Par cette rue transversale, rapidement baptisée Wall Street puisqu’elle longe le mur de la colonie, sont transportés et stockés de nombreux produits et marchandises, venant d’Europe ou à destination de cette dernière. C’est sur le seuil de ces entrepôts que naissent les premières transactions boursières, à l’époque sous forme de ventes et d’enchères publiques.
Wall Street crée ainsi un premier modèle de bourse qui primera jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, celui d’un marché à la criée où rapidement tout s’achète et tout se vend, biens réels comme titres, actions ou promesses sur des biens à venir.
Au début de son histoire, Wall Street peine à dépasser les murs de sa rue natale. Cette place boursière en devenir est bloquée par la domination anglaise qui empêche la création d’une véritable monnaie ou même d’une véritable entité américaine (comprise ici comme les États-Unis d’Amérique). La vielle Angleterre reste aussi très frileuse face aux activités de spéculation financière, considérées comme impures et souvent interdites par les prélats de la religion chrétienne.
Sa position géographique continue toutefois de se révéler extrêmement stratégique puisque la ville de New York se situe à l’aboutissement des premiers canaux reliant la côte Est et les Grands Lacs qui seront érigés au cours du XIXe siècle. Parmi eux : le canal de l’Erié, centre névralgique de l’exportation de céréales, dont le suivi commercial et bancaire était assuré à Wall Street. Cette position au cœur des routes du commerce assure également un afflux incessant de cash à Wall Street, disponible ensuite pour prêter et « boursicoter ».
Les trois actes de naissance de Wall Street
Un rapide retour en arrière s’impose, à la fin du XVIIIe siècle plus précisément, à l’époque où advinrent deux évènements fondateurs de la bourse de Wall Street. Deux dates avec lesquelles la petite rue de Manhattan va passer d’un marché aux enchères à un système financier plus développé, moins matériel, futur terreau de la finance moderne.
La naissance des États-Unis d’Amérique
Le 19 avril 1775, les États qui ne s’appellent pas encore les États-Unis d’Amérique rentrent en guerre contre la domination anglaise. Une guerre de 7 ans qui verra la naissance d’un nouveau pays, d’un nouveau peuple, mais aussi des premiers titres, sous la forme de bons du trésor émis par le tout jeune gouvernement américain pour financer la guerre. Des actions adossées à un idéal de liberté qui vont d’emblée susciter énormément d’entrain et de spéculation.
L’accord de Buttonwood
Le 17 mai 1792, moins de 10 ans après la ratification du traité d’indépendance des États-Unis, une autre déclaration majeure est signée. Beaucoup n’ont jamais entendu son nom, mais dans le cadre de notre histoire, l’accord de Buttonwood, qui tire son nom du platane résidant au 68 Wall Street, marque une deuxième naissance : celle de la bourse.
Sous cet accord se rassemblent pour la première fois 24 courtiers new-yorkais qui organisent une entente, un cartel, pour réguler et organiser leur commerce.
La New York Stock Exchange et le Dow Jones
Enfin, la place boursière de New York, la « New York Stock Exchange » (NYSE) sera, quant à elle, officiellement créée le 8 mars 1817. Mais cette date n’est pas le dernier acte de naissance de Wall Street, il se trouve plutôt en 1896 avec la création de l’indice Dow Jones.
Plus qu’un indice, le Dow Jones est une moyenne boursière obtenue par la division des cours des 30 plus grandes actions, qui permet chaque jour de dégager une tendance. Il favorise une vraie démocratisation de l’investissement car chacun, chez lui, peut désormais se constituer un avis sur les évolutions de la bourse et ainsi spéculer sur les évolutions à venir.
Une activité jusqu’à présent réservée aux investisseurs qui peuplaient Wall Street et manipulaient constamment les cours afin de remporter la bataille de la bourse. Ces investisseurs étaient généralement scindés en deux : les bears opposés aux bulls. Les bulls, à l’image du taureau qui attaque du bas vers le haut, croient en une tendance haussière, à l’opposé des bears qui, comme l’ours, attaquent du haut vers le bas, étant alors plutôt baissiers.
Ces trois actes apportèrent alors une nouvelle vision de la bourse et de sa place dans la société, comme dans l’économie, qui ne sera pas sans incidence sur l’histoire de Wall Street, définitivement liée à la société américaine.
Une place affairiste dans un pays puritain
Véritable héritage des premiers colons hollandais, New York (et le quartier de Manhattan) est une place affairiste dans un pays puritain qui n’aime pas toucher à l’argent. C’est cette dissonance qui va permettre à Wall Street de s’imposer comme l’unique place boursières des États-Unis, jusqu’alors en compétition avec d’autres places de même importance, à Boston ou à Philadelphie par exemple.
Pour certains, à l’image de Thomas Jefferson (président des États-Unis de 1801 à 1809), les États-Unis sont une vaste plaine agricole sous domination divine, et où toute spéculation est un excès d’hubris qui ne peut qu’être puni (c’est ainsi que seront expliqués les premiers krachs).
Malgré cela, qui a lu De la démocratie en Amérique de Tocqueville sait à quel point le contexte américain laisse sa chance à tout le monde. Ainsi, chacun peut commercer, échanger des marchandises, des titres, des bons du trésor, sans qu’il ne soit question de classe sociale, de patrimoine ou d’héritage. À l’inverse de la vision européenne où ces actions étaient réservées à une élite.
Des stocks markets à la bourse
Il convient ici de différencier le stock exchange, la bourse, et le stock market, aussi appelé le marché de rue. Héritiers des premières enchères de Wall Street, ce sont les différents stocks markets qui vont faire la puissance de la finance américaine. Dans un pays où l’esprit expansionniste et commercial domine (descendant des mythes de la ruée vers l’Ouest), les marchés de rue où tout le monde peut acheter et vendre des titres, sans régulation, vont véritablement ancrer le modèle de la bourse dans les mœurs américaines. N’est pas citoyen des États-Unis qui n’a pas déjà échangé un titre au stock market près de chez lui !
Un modèle certes instable en l’absence de toute régulation, mais qui permet aux places financières américaines de s’imposer face aux places européennes, rapidement régulées. Le dernier stock market en France, baptisé la Coulisse, meurt par exemple avec la fin du Second Empire. Ce groupement informel de financiers aussi appelé les Coulissiers se rassemblaient en effet sur la place du palais de la Bourse pour commercer des titres après la fermeture de la bourse.
La méthode américaine des stocks markets
Les stocks markets américains ne seront, eux, régulés que beaucoup plus tard, à partir de 1921. Ils auront permis à la bourse d’adopter les techniques de transactions d’un marché efficace et rapide, où une folie spéculative pouvait mourir en une heure.
Cette dynamique de marché dérégulé va créer une méthode américaine qui n’existe pas sur le vieux continent européen. Elle est symbolisée par la personne du trader, cet homme sur le qui-vive, prêt à prendre tous les risques, et qui doit les assumer lui-même. Une méthode fortement liée aux émotions humaine qui va créer l’histoire de Wall Street que nous connaissons, faites d’une succession d’emballements et de krachs. Vous pouvez aussi lire la série d’articles sur les biais cognitifs déjà parus pour comprendre ces phénomènes d’emballement.
Une histoire de folies et de frénésies
L’histoire de Wall Street est étroitement liée à celle des États-Unis, des découvertes et des avancées successives, financées par la frénésie de la bourse et des traders, et permises par un gouvernement ultra-libéral qui ne veut pas intervenir dans les affaires financières.
Coton, terrain, banque, chemin de fer… les traders de Wall Street spéculent sur les grandes avancées de leur temps, des paris souvent risqués et qui suscitent excitation et émotions fortes. Viennent ensuite les mines, le télégraphe, le pétrole, l’industrie lourde, la voiture, la radio, les avions : tant de nouveautés qui suscitent un emballement tellement intense qu’il est souvent suivi par un krach douloureux.
Les krachs boursiers les plus retentissants
Malgré les krachs, la bourse américaine opère sans surveillance étatique jusqu’au New Deal (qui suivra la crise de 1929, détaillée dans l’article…). L’absence de banque centrale avant 1913 permet aux traders toutes les spéculations et flambées possibles, alors que les Européens ont depuis longtemps mis en place des systèmes d’anti-spéculation en réponse à la bulle des mers du Sud (Angleterre) et à la bulle du Mississipi (France). Ces deux bulles seront détaillées dans d’autres articles.
1907, 1929, 1987, 2000, 2008, tant de dates connues de tous comme celles des plus importants krachs boursiers, mais dont Wall Street a toujours su se relever. Des effondrements spectaculaires qui viennent aussi de la mentalité des Américains qui laissent les bulles grandir jusqu’à explosion tant qu’il y a moyen de gagner un peu d’argent, et refusent toute régulation du gouvernement, perçue comme une atteinte à la liberté et la confiance du peuple.
Un système unique en son genre qui confie aux coursiers de Wall Street un pouvoir bien plus important que leurs confrères européens, et une primauté qui sera l’une des causes du retentissement mondial des krachs successifs de la bourse new-yorkaise.
Une période de répit entre 1929 et 1980
Un bon exemple de l’influence de la pensée libertarienne sur les activités boursières de Wall Street est l’absence de krachs majeurs entre 1929 et 1980, alors que la bourse avait été corsetée et organisée par le New Deal à la suite de la crise de 1929. Dès 1980, l’accession de Reagan à la présidence des États-Unis change la donne, dès lors que ce dernier considère la bourse comme moteur de l’économie, liant ainsi l’activité spéculative boursière et l’économie réelle. La levée des régulations permet un renouveau de l’emballement des traders qui donnera lieu à une suite de krachs en 1987, 2000 et 2008.
Comment faire alors pour éviter ces bulles qui semblent inhérentes à l’histoire et à l’ADN de Wall Street ? En effet, les leçons de la crise des subprimes ne semblent pas avoir été tirées, l’idéal américain d’autorégulation du marché, de liberté et d’accessibilité de la bourse continuant d’être le mot d’ordre de l’activité financière.
Et si l’écologie était la solution ?
Une solution pourrait alors être trouvée dans l’écologie : chaque bulle et chaque krach qui lui succède entraînent une destruction massive d’énergie (sous toutes ses formes) qui semble difficilement soutenable dans le contexte actuel de crise environnementale et de volonté de conserver l’énergie pour réduire notre impact. Mais cette nouvelle tendance saura-t-elle pousser les portes du monde fou de Wall Street et faire entendre raison à ceux pour qui le sous-jacent n’est plus qu’un lointain souvenir ? Rien n’est moins sûr !
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