Publié le 30/05/2018 Par Victoria ZECCA

Vous avez certainement déjà croisé, au détour d’une page Web, ces statistiques relatives à l’avalanche d’emails qui s’abat chaque jour sur l’employé de bureau moyen. Fin 2017, une étude commanditée par Adobe estimait par exemple que les cadres français passaient plus de 5 heures par jour à lire, répondre, supprimer et archiver leurs emails.

Outre les considérations liées à la productivité, ces chiffres amènent à une autre forme d’enseignement : en tant que cadres, nous passons une partie de notre temps à rédiger et mettre en forme des informations qui risquent de ne jamais être correctement lues et analysées par nos correspondants, même si leur réponse rapidement donne l’impression qu’ils ont compris et intégré le contenu du message.

Lorsqu’il s’agit d’affaires courantes, un simple acquiescement suffit, même s’il est accordé après une lecture superficielle. Avec un projet complexe induisant une véritable conduite du changement, c’est nettement plus délicat : l’absence de retour négatif laisse imaginer que tout le monde a bien adhéré à la démarche de changement induite par le projet, mais est-ce vraiment le cas ? Pour ne laisser aucune place au doute, il faut donc réussir à « imposer » le projet à l’esprit des participants.

Engager et convaincre pour favoriser le changement

Kurt Lewin est un psychologue américain, auteur de nombreux textes de référence sur les interactions sociales et la dynamique de groupe. Dans le cadre de ses études sur le comportement, il s’est notamment intéressé aux techniques permettant de rendre attractif quelque chose qui ne l’est pas de prime abord.

L’expérience est devenue un classique de la psychologie sociale. Elle prend place pendant les dernières années de la guerre 39-45. Confrontées à une pénurie de viande rouge, les autorités américaines missionnent Lewin pour qu’il trouve comment inciter les ménagères américaines à cuisiner et consommer davantage d’abats, alors que les tripes et autres rognons étaient jusqu’ici considérés comme des bas-morceaux peu ragoûtants.

Lewin imagine deux procédures distinctes. D’un côté, les ménagères assistent à des conférences lors desquelles elles sont informées des qualités nutritives des abats et des raisons qui font qu’on leur demande d’en acheter. De l’autre, elles participent à des ateliers en petits groupes où les discussions sont orientées de façon à faire admettre publiquement par les participantes les vertus des abats.
Résultat des courses ? Dans le premier groupe, 3% des participants se mettent à acheter des abats. Dans le second, 32% des participants acceptent de jouer le jeu. Le psychologue en conclut qu’informer ou exhorter à changer ne suffit pas : il faut aussi amener la cible à verbaliser son sentiment et confronter son opinion à celles de personnes qui lui ressemblent.
La méthode élaborée par Lewin a depuis fait de nombreux émules : les Alcooliques Anonymes, les réunions Tupperware et les campagnes de communication basées sur des « influenceurs » à qui des produits sont envoyés gratuitement reposent sur ces mêmes techniques.

L’adhésion est nécessaire mais pas toujours suffisante

Obtenir l’adhésion des participants est indispensable, mais pas forcément nécessaire. Les résultats de l’expérience de Lewin le montrent bien : le taux d’acceptation est dix fois supérieur, mais il ne concerne encore qu’un tiers des participants. Comment aller plus loin ? Gareth Morgan, spécialiste des sciences de l’administration, propose quant à lui d’accompagner le changement en agissant sur ses interlocuteurs à trois niveaux.

Le premier niveau vise à travailler sur l’attitude des participants et sur leur perception du changement proposé. Sont-ils au départ pour, contre ou sans avis et comment les amener à adopter le point de vue du porteur de projet ? Il s’intéresse ensuite aux comportements. Morgan préconise la recherche de leviers permettant de valoriser les actions allant dans le sens du changement demandé tout en sanctionnant ceux qui refusent le mouvement. Enfin, le troisième niveau est celui des structures, avec la mise en place d’outils et de ressources adaptés à la mise en œuvre du projet.

Les campagnes de la sécurité routière illustrent bien la logique en trois temps du modèle de Morgan. D’abord, on modifie la perception du sujet avec des campagnes publicitaires montrant les conséquences d’accidents de la route. Par la liberté qu’il apporte, le permis à points vient ensuite récompenser mais aussi sanctionner le comportement des conducteurs. Enfin, la gestion automatisée des infractions et la multiplication des radars appuient la dynamique comme autant d’éléments de structure.

Déterminer la stratégie la plus efficace

Ces deux approches partagent une logique commune : celle de placer l’individu au cœur de la conduite du changement. Elles rejoignent de ce fait la théorie de l’acteur stratégique élaborée par Crozier et Friedberg dans les années 70, qui cherche à formaliser comment appréhender la construction d’actions collectives à partir d’intérêts individuels parfois divergents.

Reste à voir en pratique comment mettre en place ces différents enseignements dans le cadre d’un projet de conduite du changement. C’est ce que nous verrons dans la troisième et dernière partie de notre dossier !

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Auteur

Victoria ZECCA

Depuis presque 3 ans, Victoria travaille auprès de banques internationales pour déployer des nouveautés réglementaires. Passionnée par la conduite du changement, elle aime les démarches agiles et pédagogiques.