Publié le 12/11/2019 Par Mathieu Londeix

Plus de dix ans après la chute de Lehman Brothers, certaines mesures adoptées ont permis d’assainir le système financier mondial. On pense notamment au renforcement du bilan des banques ou à la mise en place de stress tests pour vérifier leurs solidités. De même, certaines pratiques responsables de la crise de 2008 ont quant à elle été supprimées. Toutefois, de nouvelles sources de préoccupation commencent à apparaître et la croissance mondiale soutenue de ces dernières années pourrait prendre fin prochainement. La question n’est donc pas de savoir si une nouvelle crise adviendra mais plutôt quand elle aura lieu et, surtout, avec quelle intensité.

Pourquoi la crainte d’une crise est-elle légitime ? Parce que le FMI pointe notamment du doigt un niveau d’endettement des pays jamais atteint auparavant. Un constat renforcé par les propos de l’ancien président de la BCE, Jean-Claude Trichet, selon qui « l’ensemble du système financier mondial aujourd’hui est au moins aussi vulnérable sinon plus qu’en 2008 ».

En conséquence, au forum économique de Davos en janvier dernier, la quasi-totalité des participants s’accordaient à dire que cette nouvelle crise financière était inéluctable. Quelles sont donc les différentes vulnérabilités de l’économie mondiale qui pourrait conduire à une nouvelle crise de grande ampleur ?

Un niveau d’endettement inégalé

Le niveau global des dettes a progressé ces dernières années, le FMI parlant même d’une véritable fuite en avant. Les derniers chiffres en date sont vertigineux : en 2018, l’ensemble des dettes au niveau mondial a atteint la somme astronomique de 184 000 milliards de dollars soit 225 % du PIB mondial. Pour se faire une idée, cela représente désormais 86 000 dollars par habitant alors que le revenu moyen est 2,5 fois moindre !

L’essentiel de cet endettement est dû des pays développés (70 % du total) mais la hausse de ces dernières années provient des pays émergents : la Chine à elle seule explique 42 % de l’augmentation de la dette mondiale depuis 2007.

Global Debt databse and author’s calculations

(Source : IMF website)

Les mesures pour faire face à la crise de 2008

Premier point : les dettes privées et surtout publiques ont explosé ces dix dernières années : nous avons assisté à une véritable course à l’endettement pour enrayer la crise de 2008, notamment au niveau des ménages américains. Pour mettre fin à la crise, le système financier a choisi de laisser filer le niveau d’endettement à des niveaux démesurés. C’est le principe de la relance keynésienne, lorsque la demande privée est grippée, la demande publique se substitue au secteur privé pour relancer l’économie. C’est pourquoi les déficits publics se sont creusés ces dernières années à travers des plans de relance massifs.

Second volet pour enrayer la crise : l’intervention des banques centrales qui ont injecté des doses massives de liquidités sur les marchés avec une poursuite de la politique des taux bas. Le loyer de l’argent n’a jamais été aussi bas, ce qui a contribué à amplifier l’endettement de tous les acteurs (ménages, entreprises et États). Or, si certains pays sont en mesure de faire face à un tel niveau d’endettement (Chine, États-Unis, Allemagne) car ils possèdent un niveau de réserves de cash ou de taux d’emploi suffisant, d’autres en revanche sont beaucoup plus vulnérables (France, Italie, Japon).

Évolution du taux d’endettement des agents non financiers

(Source : Banque de France)

Par conséquent, un tel niveau d’endettement devient problématique lorsque la croissance mondiale montre des signes d’essoufflement.

Des signes d’essoufflement de la croissance mondiale et une montée des incertitudes

Si la croissance a été soutenue ces dernières années, elle commence à marquer le pas. Or tant que la croissance est importante, un tel niveau d’endettement n’est pas problématique. En revanche, il le devient dès lors que la croissance faiblit (3,7 % en 2017, 3,5 % en 2018 et 3,2 % prévu en 2019 au niveau mondial).

L’Europe affaiblie

La Zone Euro est particulièrement frappée par ce ralentissement de croissance notamment en Allemagne et en Italie. L’activité industrielle allemande est en effet en perte de vitesse et l’Italie souffre d’un niveau d’endettement massif, d’une division Nord-Sud très marquée et d’une industrie en difficulté.

Trois ans après le referendum concernant la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, le flou domine. L’ex-Première Ministre britannique n’a pas réussi à faire approuver auprès de son parlement les modalités de divorce âprement négociées avec les autres pays européens. Le nouveau Premier Ministre a échoué dans ses négociations entre le parlement d’une part, et l’Union européenne d’autre part, accentuant davantage ce climat d’incertitude.

Le renouveau des guerres commerciales

Au-delà de ce constat européen, la contraction de la croissance mondiale s’explique surtout par l’affaiblissement des échanges multilatéraux entre États (guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, et incertitudes liées au Brexit notamment). Les États-Unis ont certes connu une croissance sans précédent ces dernières années, mais celle-ci s’est faite au prix d’un endettement public considérable qui rend la situation précaire. De même, ils sont en conflit commercial avec leurs voisins (Canada et Mexique), également avec l’Union Européenne mais surtout avec la Chine.

Néanmoins, il est important de préciser que, tant que le dollar reste la devise de réserve mondiale (au sein de la Banque centrale chinoise ou allemande notamment), la situation n’est pas problématique et il semble peu envisageable qu’elle change prochainement.

L’incertitude concernant l’intensité et la durée du conflit commercial sino-américain pèse sur la croissance mondiale. Dans les deux pays concernés, la croissance devrait se contracter en 2019 et 2020 du fait d’une hausse des tarifs, entraînant mécaniquement la contraction des échanges bilatéraux. Résultat, la croissance chinoise est au plus bas depuis 27 ans (+ 6,2 % sur un an glissant au second trimestre 2019), sa dette intérieure a beaucoup augmenté mais elle reste peu inquiétante dans la mesure où elle est la contrepartie de l’épargne considérable des Chinois. Pour le moment, cet excès d’épargne des Chinois n’est guère préoccupant tant que les capitaux ne peuvent quitter le pays.

Un poids accru de la finance …

En ajoutant actions, obligations et crédits, la finance représente 400 000 milliards de dollars, soit presque 5 fois le PIB mondial ! Pourquoi la finance n’a-t-elle cessé de grossir depuis 2008 ?

Depuis 10 ans, nous avons eu recours à la finance pour absorber les dettes publiques des pays développés, les déficits extérieurs des pays émergents et pour transformer l’épargne des Chinois en financement de l’économie.

L’ensemble de ces faits contribuent à accentuer le risque d’une prochaine crise financière de grande ampleur, potentiellement pire que celle de 2008 car elle sera certainement à la fois financière, économique et sociétale.

Comment sont constituées les crises ?

Les crises reviennent à intervalles réguliers (on parle de cycle Juglar de 10 ans) et sont constituées de cinq phases :

Les cinq phases d’une crise

(Source : La finance pour tous)

La volatilité des marchés (favorisée par l’essor du trading algorithmique) a très nettement augmenté depuis 2008, le niveau de valorisation des actions et des obligations est historiquement élevé (voir graphe ci-dessous), l’expansion continue de l’économie ne pourra pas continuer indéfiniment, l’endettement est, on l’a dit, à un niveau vertigineux… Soit autant d’ingrédients qui constituent un cocktail potentiellement explosif. En bref, il ne manque plus que le détonateur !

Le ratio Shiller

L’étude de l’évolution du ratio Shiller sur le marché du S&P 500 américain est en ce sens particulièrement intéressante. De quoi s’agit-il ? Le ratio correspond au résultat de la division de la capitalisation boursière par le résultat net des entreprises sur 10 ans glissants ajusté de l’inflation. Il permet donc d’apprécier la survalorisation des actifs sur le marché.

Au regard du graphique ci -dessous, on constate :

  • Qu’il est au plus haut depuis la période post-crise 2008
  • Qu’il a dépassé le niveau du Black Tuesday de 1929
  • Et qu’il se rapproche dangereusement du niveau qui était le sien avant l’éclatement de la bulle Internet de 2000 !

Le ratio Shiller

(Source : https://www.multpl.com/shiller-pe)

Cette bulle financière ne demanderait qu’à exploser mais, en réalité, il existe plusieurs bulles. Citons pêle-mêle celle des prêts des étudiants américains dont l’en-cours atteint désormais les 1 500 milliards de dollars (8 % du PIB américain), l’endettement moyen d’un étudiant américain se situant désormais à 37 000 dollars. On peut également citer la bulle sur les intelligences artificielles ou celle sur le gaz de schiste. Ces bulles concernent plusieurs facettes de l’économie : si l’une venait à exploser, elle pourrait provoquer une réaction en chaîne.

Mais le problème réside surtout dans le fait que, contrairement à 2008, tous les moyens existants pour enrayer la crise sont presque déjà épuisés : injection massive de liquidité combinée à une baisse soutenue des taux d’intérêts qui menacent désormais de remonter si l’inflation, due à une embellie du marché du travail, refait son apparition. Le monde entier est très endetté, ce qui rend la situation encore plus critique qu’en 2008. Il n’y a désormais plus de filets de sécurité : si les taux remontent, nombre d’États se retrouveront insolvables (France, Italie, Japon, États-Unis…).

… qui a tendance à retomber dans ses travers pré-2008

Les mauvaises pratiques qui ont conduit à la crise de 2008 ont aujourd’hui tendance à réapparaître, à savoir le recours massif à la titrisation qui consiste entre autres à transférer des créances de mauvaise qualité à d’autres établissements. Par ailleurs, le shadow banking –qui représente le fait de créer des entités financières opaques qui échappent à toute forme de régulation – n’a de cesse de progresser dernièrement.

Shadow banking : les risques de contagion demeurent

(Source : La Tribune, avril 2018)

Toutefois, les gouvernements prendront-ils des mesures coercitives de réduction de l’endettement alors que celles-ci sont toujours sources de fort mécontentement dans l’électorat ?

Certes, ces bulles n’exploseront peut-être pas en 2019 ni même en 2020, mais il est fort probable que cette explosion finira par intervenir dans un avenir proche. Il s’agira peut-être de celle des prêts étudiants américains, de celle des actions ou de celle des crédits. L’hypothèse qu’un pays émergent (Brésil, Inde, Russie, etc.) se retrouve soudainement en difficulté n’est pas à exclure car les fluctuations chroniques de leurs entrées et sorties de capitaux déstabilisent les taux de change et les taux d’intérêt.

Alors, crise or not crise ? Pour ne pas trop noircir le tableau, il existe toutefois des motifs d’espoir. Le premier : le Brexit ne se fait finalement pas (des élections anticipées ont lieu, un nouveau gouvernement anti-Brexit organise un nouveau referendum qui voit le maintien au sein de l’Union européenne l’emporter auprès de la population britannique), procurant alors à la croissance au sein de l’UE un second souffle. En parallèle, les États-Unis et la Chine trouvent un terrain d’entente et cessent l’escalade des sanctions commerciales qui nuisent à l’économie des deux pays. Une persistance des tensions n’est pas dans l’intérêt de la Maison Blanche à l’approche des élections américaines car n’oublions pas que la pension des retraités américains est directement liée aux performances sur les marchés boursiers. Il n’est pas interdit de rêver !

Vos commentaires

  1. Par Nicolas, le 13 Nov 2019

    Bonjour,
    merci pour cet article, simple et concis.
    Cela me rappelle le film The big short, le shadow banking aura notre peau et notre civilisation industrielle bien avant la planète je crois 🙂

  2. Par Matthieu Vergne, le 13 Nov 2019

    «  » »
    La Zone Euro est particulièrement frappée par ce ralentissement de croissance notamment en Allemagne et en Italie. L’activité industrielle allemande est en effet en perte de vitesse et l’Italie souffre d’un niveau d’endettement massif, d’une division Nord-Sud très marquée et d’une industrie en difficulté.

    Trois ans après le referendum concernant la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, le flou domine. L’ex-Première Ministre britannique n’a pas réussi à faire approuver auprès de son parlement les modalités de divorce âprement négociées avec les autres pays européens. Le nouveau Premier Ministre a échoué dans ses négociations entre le parlement d’une part, et l’Union européenne d’autre part, accentuant davantage ce climat d’incertitude.
    «  » »

    Est-ce que le Brexit y et vraiment pour quelque chose ?

    La zone Euro me semble en premier lieu touchée par son fonctionnement même : elle force un taux 1:1 entre des monnaies de pays diverses aux compétitivités bien différentes. Là où avant l’Euro on pouvait dévaluer une monnaie nationale pour compenser la forte compétitivité du voisin, aujourd’hui ce n’est plus possible à cause de ce taux forcé, ce qui oblige de faire une dévaluation interne (e.g. baisse des salaires), ce qui pousse à des politiques sociales dont on connaît les effets (e.g. gilets jaunes). Sans aller jusqu’à tout mettre sur le dos de l’Euro, ça reste un facteur important.

    À côté de ça, les pays à forte compétitivité de la zone Euro se retrouvent à avoir un attrait tout particulier : comme ils sont à taux forcé avec leurs voisins moins compétitifs, leur monnaie est sous évaluée, ce qui veut dire qu’en cas de sortie de la zone Euro d’un pays compétitif, on peut prévoir une réévaluation de la monnaie à la hausse. À l’inverse, en cas de sortie d’un pays moins compétitif, on peut s’attendre à une dépréciation de la monnaie moins compétitive. Dans les deux cas, il devient intéressant d’avoir son argent chez le voisin compétitif, vu qu’on a de bonnes chances de voir un retour sur investissement dès que l’un des deux sort. Et ça, ça plombe l’économie allemande, envers qui plusieurs pays de la zone Euro ont une dette énorme, notamment la Grèce, l’Espagne et l’Italie. Tellement énorme qu’elles sont potentiellement non-recouvrables. On pourra se renseigner sur les déséquilibres TARGET2 pour plus de détails, qui n’ont fait qu’empirer depuis la crise de 2008 (modulo une période de recul qui a depuis été largement compensée et dépassée).

    La Grande Bretagne ayant gardé sa monnaie, elle n’est pas spécialemet concernée par ce problème. Elle a par contre une vrai crise politique, avec un référendum qui date mais un parlement qui refuse toujours de l’appliquer. Je ne suis par contre pas convaincu que ça ait grand chose à voir avec la crise, et a fortiori qu’un non Brexit permette d’aller mieux.

    Ressources utiles :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9valuation
    https://www.next-finance.net/Les-desequilibres-TARGET2-de
    https://en.wikipedia.org/wiki/TARGET2#Relation_to_the_world_financial_and_European_debt_crisis (eng)

Publier un commentaire

Mathieu LONDEIX

Auteur

Mathieu Londeix

Consultant senior riche de 13 ans d’expérience en finances et risques de marché, Mathieu intervient sur le pilotage de projets au sein de grandes banques d’investissement et d’asset managers de la place parisienne. Titulaire du CFA, passionné par la finance et l’ESG, Mathieu transmet ses passions à travers des articles, des activités de coaching et de mentoring auprès des consultants Meritis et participe ainsi au développement de la communauté Finance de Meritis. Depuis un certain temps, Mathieu se spécialise dans la finance verte et durable et la prise en compte de l’ESG dans la stratégie financière des investissements de long terme.